Le Comité d’histoire du ministère de l’Environnement et l’AHPNE (Association pour l’histoire de la protection de la nature et de l’environnement) ont organisé le 16 novembre 2011 à la Grande Arche de la Défense une journée consacrée à la genèse du ministère de l’Environnement, aujourd’hui âgé de quarante ans. Les témoins de cette époque « prénatale » et les chercheurs d’aujourd’hui ont retracé ensemble cette histoire.
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par Roger Cans
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Comme l’a indiqué Jean-Patrick Le Duc, chargé des relations internationales au Muséum national d’histoire naturelle, on peut faire remonter la préoccupation environnementale en France à Jean-Jacques Rousseau, Victor Hugo ou les peintres de Barbizon, demandant à Napoléon III d’épargner les gorges de Franchard dans le massif de Fontainebleau. Mais le souci esthétique a très vite été relayé par la communauté scientifique, inquiète de voir la faune et la flore sauvages piétinées au nom de la civilisation, du progrès et de la croissance.
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C’est le président de la Société nationale d’acclimatation, Edmond Perrier, qui, dans les années 1910-1913, lance l’alarme et invite ses contemporains à protéger la nature, après l’avoir exploitée à outrance. Au même moment, des médecins parisiens s’indignent de la chasse absurde qui est menée en Bretagne contre les macareux moines. Et c’est la fondation de la Ligue pour la protection des oiseaux, chargée en 1912 de gérer la première réserve naturelle dans l’archipel des Sept Iles, en Bretagne.
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C’est également un intérêt scientifique qui crée en 1927 la réserve naturelle de Camargue, dont le laboratoire de la Tour du Valat est toujours le centre de recherche. Alors que certains de nos voisins européens, comme la Suisse et l’Italie, ont créé des parcs nationaux chez eux, la France crée parcs et réserves dans ses colonies (Algérie, AOF et Madagascar). A cet égard, comme l’a souligné Yannick Mahrane, du centre Koyré d’histoire des sciences et des techniques, « la pensée environnementale française est modelée par la colonisation et la décolonisation ».
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Dans les années 1950, le combat est mené par les scientifiques du Muséum, à commencer par Roger Heim et Jean Dorst. Ces scientifiques s’appuient sur l’UIPN (Union internationale de protection de la nature), fondée en 1948 à Fontainebleau, et transformée en 1956 en UICN (Union internationale de conservation de la nature). Dans la foulée, la France vote en 1960 la loi sur les parcs nationaux. Pour l’ingénieur agronome Raphaël Larrère, cette loi votée à retardement (la France n’a encore aucun parc national sur son territoire) est en avance sur son temps, dans la mesure où elle envisage un développement économique dans et autour du périmètre protégé.
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Une autre loi pionnière est la loi sur l’eau de 1964, créant les agences de bassin. Fille de la décentralisation et de la régionalisation en cours, comme l’a souligné Bernard Barraqué, directeur de recherche au CNRS, cette loi fait fi des limites administratives et se plie aux découpages naturels du territoire. Pour la première fois en France, on confie la gestion d’un bassin hydrographique à une institution où siègent en même temps les représentants de l’Etat, des collectivités, des industriels et des associations.
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Lorsque sont présentées les « Cent mesures pour l’environnement », en mars 1970, aucune ne propose la création d’un ministère de l’environnement, observe Jean-Pierre Raffin, ancien président de la FFSPN et vice-président de l’AHPNE. De fait, c’est le président Georges Pompidou qui décide lui-même de créer le ministère de l’environnement, en janvier 1971, à la surprise générale. Comme l’a rappelé Christian Leyrit, vice-président du CEGD, le président Pompidou avait fait un discours très écologique à Chicago, le 28 février 1970, mais il avait été escamoté par des manifestations sans rapport avec le sujet.
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Un ancien conseiller du président Pompidou, Michel Woimant, a rappelé que, dans son premier gouvernement, en 1962, Georges Pompidou avait nommé un ministre de l’aménagement du territoire—une première. La mission a ensuite été confiée à Olivier Guichard, responsable de la DATAR, dont le rôle précurseur a préparé la décision de 1971.
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Georges Pompidou était conseillé par deux amis très proches : Michel Jobert, nommé président du nouvel Office national des forêts, et Pierre Juillet, grand chasseur et éleveur de moutons dans la Creuse. Il n’était donc pas seulement préoccupé « d’adapter la ville à l’automobile », comme de mauvaises langues le répètent à l’envi.
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Ancien directeur du cabinet de Brice Lalonde, Lucien Chabason a rappelé que le souci de l’environnement n’est pas né en 1971. Depuis plusieurs décennies, les défenseurs des paysages, les pêcheurs et les architectes des bâtiments de France s’efforçaient de limiter les dégâts de la société industrielle. Un professeur de droit de Bordeaux, Jean Lamarque, a publié en 1973 une somme sur le droit de l’environnement, deux ans seulement après la création du ministère. Preuve que la législation sur l’environnement est bien plus ancienne que l’administration du même nom.
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Premier ministre français de l’environnement, de 1971 à 1974, Robert Poujade a reconnu qu’il s’était pris au jeu de son « ministère de l’impossible » et que sa mission avait toujours été respectée. Bettina Laville, ancienne du cabinet de Brice Lalonde, de Matignon et de l’Elysée, a constaté que l’environnement, préoccupation devenue majeure dans l’opinion, était toujours resté périphérique dans la machine gouvernementale. La faute à l’absence d’un « grand corps », comme les Mines, les Ponts ou l’ENA, qui puisse servir de réservoir à de grands commis dédiés à la cause.
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« Nous n’étions pas des marginaux mais des mutants », a corrigé Christian Garnier, co-fondateur de la FFSPN. Lancé dans le combat dès 1958, il se sentait bien seul, inspiré par quelques défricheurs comme Paul-Henry Chombart de Lauwe, Serge Antoine ou les amis de Roland Bechmann, fondateur de l’association Aménagement & Nature. Même si la marginalité est aujourd’hui dépassée, la mutation est toujours en cours…
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