La forêt française au risque du changement climatique

A l’occasion de l’Année internationale de la forêt, une journée d’étude intitulée « Que nous apprend la recherche sur la vulnérabilité des forêts au changement climatique » a été organisée le 17 novembre 2011 à Paris (FCBA, Institut technologique du bois), avec la participation de l’INRA, l’ONF, l’ANR (Agence nationale de la recherche), ainsi que les réseaux spécialisés AFORCE et ECOFOR.

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par Roger Cans

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D’une manière générale, la recherche s’est montée très humble et incertaine face à des phénomènes que l’on commence seulement à étudier sérieusement. Alors que l’on dit souvent que la production de bois augmente avec l’augmentation du taux de CO2 dans l’air, la recherche tempère cette constatation. Certes l’INRA observe l’augmentation des rendements en blé, parce qu’il est moins sensible au déficit hydrique que les arbres. Si, dans de bonnes conditions de précipitations, la forêt est aujourd’hui plus productive, c’est dû à l’augmentation de durée de la saison végétative et au carbone disponible dans l’air pour la photosynthèse. Le CO2 limite l’évapotranspiration (fermeture des stomates) et favorise la production chlorophyllienne, donc les réserves en carbone.

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Mais on observe localement des cas contraires, comme dans le Sud-Ouest. L’INRA de Bordeaux signale une « décroissance du confort hydrique » des arbres dans une grande partie de la façade atlantique (Centre Ouest et Sud-Ouest), suite à des périodes de sécheresse consécutives. Car « la forêt est la culture la plus impactée par le réchauffement climatique ». En matière forestière, en effet, « le stress hydrique n’est pas compensé par l’augmentation du taux de CO2 ». De sorte que le rendement du pin maritime a baissé de 10 % à 15 %. C’est en effet la température qui fait transpirer l’arbre, et donc pilote sa croissance et son rendement. « L’effet total est donc négatif pour la forêt ».

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C’est pourquoi l’on observe déjà des changements dans le Sud-Ouest, où le hêtre tend à disparaître, et où le chêne vert gagne vers le nord et l’ouest. La sécheresse et la canicule de 2003 ont provoqué une forte mortalité du douglas en Dordogne, car c’est un arbre à forte surface foliaire (comme le sapin ou l’épicéa). Les pins, dont la surface foliaire est faible, sont moins affectés par les fortes chaleurs, car ils transpirent moins.

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Si l’on se tourne vers le reste des espèces forestières, voici le bilan. Le chêne sessile, actuellement, couvre toute l’Europe, sauf l’Espagne au sud et la Scandinavie au nord. Si l’on se fie aux modèles climatiques (- 200 mm de précipitations, + 2,85 °), le chêne sessile devrait disparaître de France en 2080 et se réfugier en Scandinavie. Le hêtre de plaine devrait disparaître au nord-ouest (Normandie) en 2055, et au contraire prospérer en montagne avec le réchauffement et le taux de CO2…

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Pour le pin sylvestre, la moitié ouest de la France devient défavorable, car la température est plus déterminante que les précipitations. Pour le chêne vert, le climat sera plus favorable. D’une manière générale, la végétation méditerranéenne s’étendra vers l’ouest et le nord (« jusqu’à la Belgique »). Donc  « la forêt tempérée est à risque », car le climat est premier. Le sol n’est qu’une variable d’ajustement.

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A l’INRA de Nancy, où sont centralisés les résultats de la recherche, on constate que la sécheresse de 2003 a provoqué une diminution de la « croissance radiale » (diamètre du tronc) de 20 % dans la moitié nord et de 16 % à 18 % en forêt méditerranéenne. Les cercles de croissance du douglas se réduisent après 2003, car l’effet de la sécheresse est différé. L’effet retard peut être spectaculaire, comme on le constate en forêt de Vierzon (Centre) : la sécheresse de 1962 n’a jamais été guérie et les chênes ont continué à dépérir et mourir jusqu’en 2008 !

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Un paradoxe : ce sont souvent les arbres qui ont eu la croissance la plus rapide, jeunes, qui s’avèrent les plus vulnérables ensuite. Sur le Mont Ventoux (Vaucluse), les sapins morts sont souvent sur les meilleurs sols (enfants gâtés) alors que ceux sur sol caillouteux se sont habitués au stress. D’une manière générale, les arbres âgés sont en général plus fragiles que les jeunes. Mais les jeunes hêtres sont plus vulnérables au stress hydrique que les vieux. Si le chêne pédonculé souffre plus du réchauffement que le sessile, c’est parce qu’il est plus vulnérable aux chenilles et à l’oïdium, qui sont favorisés par les hivers doux. Une chose que l’on ne sait pas : quel est le seuil de stress hydrique fatal ? Une sécheresse sévère ? Plusieurs sécheresses récurrentes ?

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Une chose est sûre, c’est que la réserve hydrique de l’arbre (dans le sol) est déterminante. Les Tunisiens le savent bien qui cultivent l’olivier espacé de 8 m dans le nord, de 12 m à Sousse (centre) et de 24 m à Sfax (sud). A l’IDF (Institut de développement forestier), on souligne qu’il ne faut pas confondre dépérissement et mortalité. Beaucoup d’arbres forestiers dépérissants finissent par récupérer avec des conditions plus favorables. Des chercheurs ayant étudié le gradient d’une espèce (son étagement en altitude ou sa répartition géographique) ont découvert des différences génotypiques qui permettent de penser que les arbres s’adapteront ou auront au moins la faculté de s’adapter.

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Un point faible de la recherche : « C’est vrai, tous nos modèles sont calés sur des forêts monospécifiques. Pour les forêts mélangées ou irrégulières, nous sommes désarmés ». Or les forestiers de terrain constatent tous que, d’une façon générale, les forêts mélangées sont moins vulnérables que les plantations monospécifiques. La biodiversité, on l’a répété durant l’année 2010, est bien un gage de bonne santé pour tout écosystème.

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