par Hélène Crié-Wiesner * |
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Vous en avez de la chance, vous les écologistes français ! Vous avez des élus verts aux Parlements français et européen, vous avez des maires verts et plein d’élus locaux. Vous avez des candidats aux présidentielles qui assurent tous les cinq ans pendant six mois un écho médiatique considérable aux questions d’environnement.
Bref, même si vous n’êtes pas toujours d’accord avec la manière dont le parti vert gère ses querelles de boutique et fait de la politique, il en fait, au moins ! Il est présent sur la scène nationale, il est entendu, il fait jeu égal avec ses homologues.
Mieux : tous les autres partis sont d’accord avec les grandes lignes du discours écologiste : la pollution c’est pas bien, la surconsommation énergétique est un problème, saloper les paysages est un péché, il faut protéger le patrimoine naturel, le développement durable est un objectif noble, il faut davantage de justice sociale pour mettre tout cela en œuvre, etc. Même le Front national n’ose pas dire le contraire. Même Fillion admet qu’il est nécessaire de sécuriser l’industrie nucléaire. Et Sarko voit Hulot sans se cacher ni craindre de ternir son image, c’est dire !
Ce n’est pas en France – ni en Allemagne, ni en Espagne, en Italie ou en Grèce – qu’une chambre des députés oserait voter, à une très large majorité incluant toute la droite et une partie de la gauche, une loi définissant la pizza au ketchup comme un légume digne d’être servi dans les cantines scolaires. C’est pourtant arrivé au Congrès des Etats-Unis début novembre.
Pas non plus en France que les journalistes arbitrant à la télé les débats présidentiels se sentiraient obligés d’interroger les candidats sur l’intensité de leur foi en Dieu, et sur l’influence de celle-ci dans leur appréhension de la « théorie » des changements climatiques.
Je vais m’arrêter là, car évidemment, chers confrères et consœurs des JNE, ce que je dis ne fait que renforcer vos idées reçues sur les Américains. D’un autre côté, je connais la propension très française à constamment dénigrer son propre pays (quoiqu’en s’indignant quand ces mêmes critiques viennent de l’étranger). C’est pourquoi je vais enfoncer le clou : vous ne réalisez pas la chance que vous avez de vivre là où les idées écologistes, même diluées et de façade, font partie de la culture ambiante.
C’est ce que je me disais en repartant de France, où je venais de passer tout le mois d’octobre. En arrivant, un message m’attendait, d’une jeune femme membre du petit Green Party de Caroline du Nord, où je vis dans la fameuse Bible Belt du Sud profond. Avant de partir, j’avais contacté le Green Party au niveau national, à Washington, pour savoir de quelle manière il allait s’y prendre pour diffuser ses idées auprès des candidats présidentiels.
Le parti vert américain n’étant qu’une coalition des partis verts de chaque Etat, ma demande avait été illico répercutée localement. Ce qui est idiot, car, du propre aveu de ma jeune verte carolinienne, le Green Party n’existe quasiment pas en Caroline du Nord. Le fait est que des Constitutions locales historiquement archaïques, conjuguées aux spécificités géographiques raciales et culturelles américaines, rendent la vie dure aux petits partis qui entendraient s’immiscer dans la Bande des Deux (démocrate et républicain), comme dirait Le Pen.
Je les plains d’autant plus, ces courageux militants verts américains, politiques et associatifs, que la classe politique, soutenue par une partie toujours plus importante de la population, leur fait la vie de plus en plus difficile. Après l’embellie de 2006-2008, où les idées écologistes et les comportements respectueux de l’environnement ont progressé de manière spectaculaire aux Etats-Unis, la société américaine est en train de se radicaliser à nouveau.
Pour ceux qui ont envie d’aller plus loin et qui lisent l’anglais, je recommande ce bouquin récent: « Green is the new red » (Vert, c’est le nouveau Rouge), du journaliste Will Potter. Il raconte comment une alliance stratégique de politiciens, de lobbyistes et de grandes corporations, œuvre à rendre la pensée verte terrifiante, au point que l’ancienne « peur du rouge » du XX° siècle a fait place, dans certaines couches sociales, à une nouvelle « peur du vert ».
J’avais déjà repéré ici et là, ces dernières années, des phénomènes inquiétants, telle la nouvelle croisade du mouvement Tea Party contre l’environnementalisme ou le développement durable, tous deux désignés comme « le nouveau communisme ». Quand on sait l’influence qu’exerce désormais le Tea Party sur les élus du Congrès, il y a de quoi être nostalgique de notre bonne vieille droite française.
* Hélène Crié-Wiesner est l’auteur de American Ecolo, les Américains et l’environnement : chroniques du meilleur et du pire, octobre 2011, éditions Delachaux et Niestlé.
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Cet éditorial, comme tous ceux de ce site, n’engage que son auteur.
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