Fête de Jean-François Noblet, à Voiron le 18 octobre 2011

Personnalité marquante de la protection de la nature en Isère, Jean-François Noblet vient de quitter son poste de conseiller technique environnement au Conseil général de l’Isère.

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par Roland de Miller

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Jean-François Noblet - D.R.

 

Le 18 octobre, pour son départ à la retraite, il a organisé une grande fête de l’écologie à Voiron où il a invité sa famille, ses amis, ses collègues de travail, les écologistes de tous bords, et notamment ses collègues des JNE, association dont il est un membre très actif depuis les années 1970.

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Notre sexagénaire, à l’aide d’un diaporama plein d’humour, a fait un magnifique et émouvant bilan de sa carrière d’écologiste. Il s’est formé très jeune à l’école du scoutisme laïc au sein des Éclaireurs de France où il a vécu l’aventure, le goût du travail en équipe, les principes de la démocratie et de la vie dans la nature.

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Il est l’un des membres fondateurs de la Fédération Rhône Alpes de Protection de la Nature (FRAPNA) section Isère, à Grenoble, en 1972. Il peut être fier d’avoir été à l’origine de l’agrément des associations de protection de la nature en France pour le service civil des objecteurs de conscience.

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Devenu permanent de la FRAPNA après en avoir été le premier secrétaire général, il a été un militant dynamique et original qui a entrainé tous les autres. Il a contribué ainsi à de belles victoires : la sauvegarde du parc national de la Vanoise menacé par la station de Val Thorens, la fête du vélo et du tram, l’abandon de la carrière de la Colline Verte à Champagnier, la sauvegarde du bras mort de l’Isère à St Ismier, etc.

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Son engagement militant était et reste constamment étayé par de solides connaissances naturalistes, notamment en mammalogie puisqu’il est un des spécialistes les plus chevronnés au niveau européen des chauve-souris et de la loutre.

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Jean-François Noblet n’a pas oublié qu’il a travaillé pendant des décennies avec des gens étonnants et passionnants, porteurs de très hautes qualités humaines. À la fin des années 1980, la FRAPNA Isère était déjà forte de 83 associations, 1500 adhérents individuels, aidés par 15 militants salariés. Elle reste sa « famille » à laquelle il doit tant.

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Dans ce bilan, il convient de tirer des leçons, l’une d’elles étant de remarquer que « l’action désintéressée des associations pour le bien public et l’intérêt général est rarement reconnue et remerciée à sa juste valeur ». C’était aussi pour lui l’occasion de rappeler aux associations qui s’enlisent dans les soucis budgétaires et les bienséances de fonctionnaires : « Il nous faut retrouver l’enthousiasme, la ferveur, l’amitié, le goût de la provocation et la foi en notre combat vital. Et ne jamais regretter nos excès et nos maladresses car il serait incroyable de s’offusquer de l’excès de ceux qui défendent la vie. »

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En plein accord avec le Conseil de la FRAPNA, Jean-François Noblet a démarré en 1989 une nouvelle carrière au Conseil général de l’Isère. Il y eut des hauts et des bas, mais les premières années au moins furent « intenses et particulièrement efficaces ». Toujours pragmatique, il entreprit de nombreuses campagnes : l’opération Manger bio à la cantine, la politique de corridors biologiques, la guerre contre les pesticides, la création de 55 mares pédagogiques, l’aménagement d’espaces verts écologiques dans les collèges, etc.

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Aujourd’hui, après le départ de Jean-François Noblet, il ne sera pas remplacé à son poste de conseiller technique environnement. Après avoir produit de multiples actions exemplaires qui ont fait la (fausse) réputation de l’Isère comme « le département le plus écologique de France », le service environnement du CGI 38 est démantelé et dispersé par le directeur général, un technocrate adversaire de l’écologie. « Nous sommes le département le plus nucléaire de France, le plus autoroutier. Nous hébergeons de nombreux sites industriels à risques, nous perdons 1000 hectares de terre agricole chaque année et 28 000 personnes boivent encore une eau contaminée par les pesticides. Et je ne parle pas des espèces animales et végétales qui disparaissent. Aussi nous sommes loin de faire ce qu’il conviendrait pour s’accorder le premier rang. Peut mieux faire ! »

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Et Jean-Franc de conclure : « Je garde de l’amertume pour cette évolution négative et l’impression d’avoir vécu une belle schizophrénie : plus les élus parlent de l’engagement du CGI pour l’environnement, plus ils soutiennent des projets inadmissibles tels que la rocade nord, Minatec ou le Centerparc. » D’autres départements français partageraient-ils la même évolution négative ?

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Toujours plus convaincu que jamais que la protection de la nature doit devenir une priorité pour sortir de la crise, Jean-François Noblet reste l’animateur intrépide de l’association Nature et Humanisme et du Festival L’Avenir au Naturel, à l’Albenc, le plus grand de l’Isère (chaque premier week end de septembre).

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La soirée fut chaleureuse et animée, sous la houlette humoristique de Gérald Rigaux, génial crieur public à la Croix Rousse (Lyon) qui nous a brillamment déclamé un texte de Fred Vargas sur l’épopée de l’humanité. La salle des fêtes de Voiron était presque pleine. Il y avait des stands d’associations amies, des expositions, la projection d’une vidéo sur Fukushima, des conférences et des prises de parole diverses avec chansons, poésies, humour et musique.

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Première conférence, celle de Paul Ariès, politologue et écrivain, sur le thème de la décroissance joyeuse et solidaire. « Il faut en finir avec le mythe de la croissance et l’exploitation obscène des inégalités sociales. Nous survivrons par notre capacité à renouer avec le sens des limites. Cessons de regarder la planète avec nos yeux d’occidentaux. Ce n’est pas en culpabilisant les gens mais en suscitant le désir qu’on peut inventer une gauche optimiste et antiproductiviste. Toute accélération de la société se fait aux dépens des plus pauvres. Contre la boulimie dévorante d’espace, de temps et de ressources, il nous faut ralentir : « Slow Food » et « Villes en transition » vers l’après-pétrole sont des voies d’avenir ».

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Ensuite, Christian Bouchardy, JNE, naturaliste et vice-président écologiste de la Région Auvergne, a raconté comment son amitié avec Jean-François Noblet est née en 1982 lors de leur voyage en Écosse pour observer des loutres et en tirer des enseignements pour la France. Il a dressé un abécédaire : Ami, Bon vivant, Chauve-souris, Décontracté, Généreux, Humaniste, Tenace, etc.

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Yves Paccalet, JNE, naturaliste, philosophe, écrivain, journaliste et conseiller régional Rhône-Alpes, est également intervenu pour donner son opinion sur notre espèce et son pronostic sur notre futur. Dans un style tout aussi facétieux que corrosif qui procure un réjouissant plaisir, il dit, comme dans son dernier livre Partageons ! L’utopie ou la guerre, « Nous, Homo sapiens, constituons un paradoxe génial et consternant. Beau et laid. Séduisant et sinistre. Sublime et désastreux à la fois… Nous avons de formidables capacités à connaître et à créer, mais nous méritons des claques et des coups de pied au cul parce que nous utilisons notre intelligence à tuer et à saccager. Qui l’emportera de notre génie créateur ou de notre aptitude à détruire ? L’utopie ou la guerre ? » Yves Paccalet nous propose l’humour (surtout dans sa variante noire) comme remède à nos vilaines habitudes. Il nous appelle, aussi, à réfléchir d’urgence à notre destin collectif. À en finir avec le politiquement correct, la surconsommation matérielle, l’avidité, ou encore « le nucléaire qui nous illumine, nous contamine et nous domine ».

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Enfin, Philippe Roch, biologiste et écrivain, ex-Secrétaire d’état à l’Environnement en Suisse, a souligné combien cette soirée était le lieu le plus important où être et que c’est dans ce genre d’assemblées que se prépare l’avenir et non pas au prochain G 20. Inspirée par la vision de société que portait aussi le naturaliste et artiste Robert Hainard (1906-1999), Philippe Roch fit une joyeuse mise en garde qui mérite d’être écoutée : « Méfions-nous d’une écologie grise et piégée par le système où l’on se contente de parler de biodiversité mais où l’on oublie la grande Nature sauvage. Comme Jean-François, gardons notre fidélité à nos convictions profondes. Le train fou ne va pas s’arrêter tout seul, et comment se remettre de la catastrophe ? Tournons-nous vers une écologie de jouissance, un acte d’amour : ayons le courage de dire la vérité, c’est-à-dire que nous aimons « les petites fleurs ». »

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Ce qu’il y a de passionnant chez Jean-François Noblet, c’est que, utilisant sa notoriété bien établie, il est capable, avec une grande lucidité politique, à la fois de soutenir la candidature (sabotée) de Nicolas Hulot aux élections présidentielles et d’inviter son ami Paul Ariès à parler de la décroissance dans une perspective anticapitaliste. Il sait que la société de demain se construira avec ces deux composantes complémentaires.

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