Biologiste marine, Isabelle Poitou traque le déchet aquatique

Peu connue du grand public, Isabelle Poitou est pourtant en train de devenir, à 42 ans, « la » spécialiste des déchets des milieux aquatiques.

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par Olivier Nouaillas

Isabelle Poitou au congrès des JNE le 7 mai 2011 à Cassis - photo Christine Kristof


Elle décrit une autre face de la grande bleue et de ses plages paradisiaques : « 2 265 mégots, 1 078 bouteilles de verre, 631 Coton-Tige, 362 bouteilles en plastique, 211 pneus… ». Tel est le bilan de l’opération « Calanques propres 2010 » et de ses 142 m 3 ramassés en une seule journée sur le littoral méditerranéen entre Marseille et La Ciotat. « Ces déchets nous parlent : ils en disent beaucoup sur notre frénésie de consommation, notre productivisme à tout poil, notre insouciance aussi… » De fortes paroles, prononcées d’une voix assurée et calme, qui ont particulièrement impressionné les Journalistes pour la nature et l’écologie (JNE), réunis début mai à Cassis (Bouches- du-Rhône) pour leur congrès annuel, et venus étudier le projet de création du parc national des Calanques.

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Peu connue du grand public, Isabelle Poitou est pourtant en train de devenir, à 42 ans, « la » spécialiste des déchets des milieux aquatiques. Une consécration pour cette jeune docteure en biologie marine qui vient tout juste d’obtenir son premier CDI. Ceci après plus de 15 ans d’études universitaires et 5 de ramassage militant ! Un parcours peu banal pour cette Parisienne née en 1968 à Saint-Maur-des-Fossés (94). « Je suis une fausse citadine, confie-t-elle. Mon père emmenait chaque été toute la famille à Quiberon, pratiquer la voile sur les côtes de Bretagne. C’est là où j’ai appris à aimer lamer. À vouloir la préserver.»

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À 21 ans, avec juste un Deug de sciences de la vie et de la terre, obtenu à Jussieu (Paris-VII), elle n’hésite pas à prendre la route du Sud. « La Méditerranée m’attirait, se souvient- elle. J’ai obtenu ma licence en biologie à Marseille. Puis, j’ai voulu continuer par un DEA Chimie de l’environnement et santé. » Son sujet de mémoire ? « Le rythme d’activité de la Coris julis, autrement dit la girelle, un poisson réactif au manque de lumière qui s’enfouit sous le sable… Passionnant », précise-t-elle. En tout cas au point de passer sept mois d’étude et d’observation à l’université de Groningen, aux Pays-Bas. « La recherche fondamentale, c’est bien, mais je voulais agir dans la société. » Aussi, quand Isabelle, alors âgée de 28 ans, décide de faire un second DEA, son directeur de thèse lui conseille d’aller « se promener au bord de la mer, pour trouver un sujet ». Isabelle lui répond du tac au tac : « Ce sera les déchets, car il n’y a qu’à descendre au Vieux-Port pour en voir des tas flotter à la surface de l’eau. » « Cette pollution me révoltait d’autant plus que personne ne voulait traiter ce problème, poursuit-elle. Ici, balancer un déchet est encore trop souvent perçu comme un geste viril. »

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Puis ce sera le doctorat à Aix- en-Provence : Les macrodéchets : une gestion publique empirique ? Étude du littoral de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Un travail minutieux de pionnière. Fin des études en 2004, à 36 ans… Et poursuite du travail militant avec Mer-Terre (www.mer-terre. org), une association qu’elle a fondée. Le déclic a lieu en 2005, lorsqu’elle rejoint l’opération de ramassage des déchets dans les Calanques (Calanques propres), mise en place deux ans avant. « Nous sommes passés de 50 m3 ramassés à 142 m3 en 2010. Il faut dire que, maintenant, nous attirons du monde : 1 350 bénévoles, des cadres dirigeants de HSBC, notre sponsor avec les collectivités locales (ville de Marseille, conseils général et régional), aux gamins des quartiers nord, en passant par les scouts ou encore les membres du Rotary Club. »

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Avec, comme seule arme, son slogan : « La mer n’est pas la poubelle de la Terre », Isabelle, la douce battante, est désormais en train de mettre en place le premier Observatoire des déchets en milieux aquatiques (Odema), et cela à une dimension européenne. « Ce que je veux au fond : c’est redonner de la valeur aux déchets et à ceux qui les traitent. Nous ne sommes pas des éboueurs mais – peut-être – des sauveurs de la mer. »

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Passé

1968 Naissance à Saint-Maur-des-Fossés (94).

1996 DEA en Aménagement régional et urbanisme.

2000 Fondation de l’association Mer-Terre.

2004 Doctorat sur les macrodéchets.

2005 Rejoint « Calanques propres ».

2011 Premier CDI à Mer-Terre.

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Présent

28 mai 2011 9e opération « Calanques propres ».

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Futur

Mise en place de l’Odema (Observatoire des déchets en milieux aquatiques).

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« Nous sommes à un tournant de civilisation. Les déchets sont les reflets de notre société. En s’occupant de cette part d’ombre, on peut la transformer en ressource. »

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Cet article a été publié le 26 mai 2011 dans l’hebdomadaire La Vie.

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