Une conférence de Pierre Pfeffer sur les éléphants

A l’invitation de Jean Martin, président de la Salamandre, et en souvenir de Jacques Bouillot, grand taxidermiste et fondateur du zoo de La Flèche, notre ami Pierre Pfeffer, membre de longue date des JNE, est venu présenter deux films de Marie-Hélène Baconnet sur les éléphants devant l’association La Salamandre à Bazouges-sur-Loir le 3 avril 2011.

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par Roger Cans

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Pierre Pfeffer - photo La Salamandre

 

Pierre Pfeffer commence par de vieux souvenirs. Il se rappelle qu’il avait trouvé, sur un éléphant mort dans le parc Tsavo (Kenya), une paire de défenses extraordinaires, pesant 57 et 58 kilos. Ce n’est malheureusement plus possible aujourd’hui, tant le braconnage a décimé les « gros porteurs ».

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Outre ses défenses, qui sont des incisives, l’éléphant dispose de quatre molaires (deux en haut, deux en bas) qui lui servent à broyer les végétaux dont il se nourrit. Ces molaires finissent pas tomber et sont remplacées à six reprises au cours d’une vie normale de pachyderme. Lorsque tombent les dernières molaires, l’éléphant ne peut plus se nourrir comme avant et meurt pratiquement de faim. Il se réfugie alors dans des zones humides pour mâchonner des feuilles tendres et y mourir. D’où la légende du cimetière des éléphants.

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L’autre particularité de l’animal, c’est sa trompe, qui est un développement de sa lèvre supérieure pour compenser le manque de souplesse et le caractère ramassé de son cou (inverse de la girafe, qui a pourtant le même nombre de vertèbres cervicales). Ce cou très ramassé permet de porter le poids du crâne et, le cas échéant, des défenses. La trompe est à la fois lèvre et appendice nasal. Elle joue aussi le rôle de la main, pour cueillir, ramasser et casser des branches.

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Avant l’arrivée de l’homme blanc, vers 1850, l’Afrique comptait entre quatre et cinq millions d’éléphants. Comme le marché de l’ivoire est très documenté, on connaît certains chiffres. Le port d’Anvers recevait du Congo belge entre 400 et 600 tonnes d’ivoire par an. En Europe, cela faisait environ 1 000 tonnes d’ivoire par an, ce qui correspond à 100 000 éléphants tués chaque année pour l’ivoire.

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« Lorsque je suis arrivé en Afrique, en 1950, il y avait des éléphants dans la banlieue d’Abidjan ! », dit-il. C’était vraiment « la côte d’ivoire ». En Afrique australe, en revanche, le massacre a commencé vers 1900, comme pour les bisons en Amérique. Il n’en restait que 13 dans une forêt près du Cap.

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Vers 1970, tout bascule avec l’arrivée sur le marché de la Chine et du Japon, qui commercent maintenant directement avec l’Afrique. La Chine construit le chemin de fer tanzanien et se paie en ivoire vendu sur le marché international. A l’époque, il y avait encore 2,5 millions d’éléphants en Afrique. En 1975 est créée la CITES, qui fixe les règles du commerce des espèces sauvages. Le lobby sud-africain (Afrique du sud, Botswana, Namibie, Zimbabwe) pèse de tout son poids pour maintenir ouvert le commerce de l’ivoire.

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En 1989, on estime le nombre d’éléphants à 600 000 en Afrique. C’est l’alarme. La CITES décide l’interdiction totale du commerce de l’ivoire le 20 octobre 1989. 76 pays sur 91 ont voté l’interdiction, dont 26 pays africains. On observe alors l’arrêt du braconnage et une remontée immédiate des effectifs.

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En 1997, l’Afrique du Sud obtient le reclassement de l’éléphant d’Afrique en annexe II (commerce autorisé) pour cinq pays : l’Afrique du Sud, la Namibie, le Botswana, le Zimbabwe et le Malawi. Le marché noir reprend. Il se vend alors entre 100 et 150 tonnes d’ivoire par an, soit 40.000 éléphants tués. Aujourd’hui, on estime qu’il reste 270.000 éléphants survivants. Mais si on en tue 40.000 par an…

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Est alors projeté un film tourné en 1994 dans le parc national de Zakouma, au Tchad. Ce parc frontalier du Soudan, il le connaît bien car il le suit depuis sa première visite en 1966. Il y a encore effectué une mission en 1986. En 2005-2006, on comptait encore 3 250 éléphants dans le parc. En 2010, on en a compté seulement 617 ! Les braconniers soudanais, profitant des troubles au Darfour, ont pénétré au Tchad, massacré les éléphants du parc et vendu l’ivoire aux Chinois.

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Le deuxième film a été tourné en 1997 dans le parc de Dzangha-Sangha, en Centrafrique. Les éléphants y sont bien mieux protégés qu’au Tchad, car ils vivent dans une sorte de vaste clairière pourvue de points d’eau, au milieu d’une épaisse forêt où ils peuvent se réfugier en cas de danger.

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Une question est posée sur la différence entre les éléphants de savane et les éléphants de forêt. Pierre Pfeffer explique que, du temps où il y avait des éléphants dans toute l’Afrique, du Cap à Tanger (rappelons-nous Hannibal du temps où Tunis s’appelait Carthage), les pachydermes étaient tous en contact les uns avec les autres. La différenciation s’est faite avec la compartimentation, mais il s’agit toujours d’une même espèce, l’éléphant d’Afrique. Simplement, l’éléphant de savane est devenu plus gros que l’éléphant de forêt, qui porte des défenses moins courbées. Il ne faut pas se fier à la manie des généticiens de différencier ou de rapprocher des espèces, ne serait-ce que pour leur donner leur nom…

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Quant à l’éléphant d’Asie, lui aussi est différent en Inde, à Sri Lanka et en Indochine, mais il s’agit de la même espèce : l’éléphant d’Asie. Lui aussi est très menacé à l’état sauvage, mais il est encore utilisé comme bête de somme et donc à ce titre protégé.

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Un intervenant se demande si l’on ne pourrait pas couper les défenses sur les éléphants vivants, comme on le fait aux rhinocéros pour éviter le braconnage. Pierre Pfeffer doute de cette méthode, car les éléphants ont plus besoin de leurs défenses que les rhinocéros de leurs cornes. Ce qui compte, c’est de les laisser vivre le plus longtemps possible, pour qu’ils développent de belles défenses. Les braconniers, aujourd’hui, abattent des éléphants pour des défenses de quelques kilos, qui ne sont pas plus grosses que des dents d’hippopotame, voire de phacochère. Comme si les Eskimos tuaient un cachalot pour ses dents ou un morse pour ses seules défenses. Le drame, en Afrique, c’est la kalachnikov, comme la tronçonneuse pour les arbres. Tuer un éléphant est devenu un jeu d’enfant. Et cela rapporte gros, alors même que la viande est presque toujours perdue.

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