USA : le développement durable, nouveau nom du communisme ?

Le mouvement du Tea Party a identifié une nouvelle cible : le développement durable, et plus particulièrement l’Agenda 21, convention internationale datant de 1992, qui inspire sans tapage des plans d’urbanisme respectueux de l’environnement. L’ennemi est identifié ainsi : « Un communisme rampant. »

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Par Hélène Crié-Wiesner

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Comme je ne hante pas les meetings de cette frange politique et ni les innombrables sites web du mouvement, le phénomène m’avait jusque-là échappé. C’est un article récent du magazine Mother Jones qui m’a mis la puce à l’oreille. En fouinant ailleurs, j’ai découvert l’ampleur de la parano. Une chose est sûre : la droite française resterait pantoise face à l’imagination conspirationniste de son homologue américaine.

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Mother Jones reprend en titre la réflexion d’un habitant de Floride outré par l’augmentation d’un centime de la TVA locale, destinée à financer un tramway : « On n’a pas besoin de ce communisme vicieux », et détaille en sous-titre :

« La dernière terreur des “tea-partyistes” : un plan secret de l’ONU pour nous parquer dans des “zones d’habitation humaine”. »

Au départ, ce sont des habitants de l’Etat du Maine qui lancent une « alerte rouge » : un projet de développement local veut concentrer des programmes de logement afin de faciliter la circulation. Concentrer ? Diable, non ! Ça rappelle par trop George Orwell !

En Floride, des « rurbains » s’insurgent contre une loi contraignant les propriétaires à faire inspecter leurs fosses septiques. Dans le Colorado, des citoyens combattent la création d’une initiative du privé-public analogue à notre Vélib.

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Forcer les Américains à vivre dans des maisons de Hobbit

Toutes ces initiatives d’origine municipale ou émanant de communautés urbaines sont identifiées par leurs opposants comme étant inspirées par le fameux Agenda 21, qui, soutiennent-ils, a pour objectif d’anéantir le droit de propriété. Mother Jones écrit :

« Ces conservateurs épluchent avec minutie les décisions des gouvernements locaux, et harcèlent désormais les administrations avec leurs théories conspirationnistes anti-développement durable.

Dans leur vision dystopique [contre-utopique, ndlr], ils voient chaque tentative d’accroissement de la densité urbaine comme une volonté concertée de forcer les Américains à abandonner leurs voitures et leurs maisons de banlieue, pour les entasser dans des “maisons de Hobbit” et les obliger à prendre – argh ! – le bus. »

Mais qu’a donc cet Agenda 21, qui décline une série de mesures concrètes pour le XXIe siècle, pour heurter à ce point les conservateurs ? Le texte adopté à Rio en 1992 par 150 chefs d’Etat recommande notamment ceci pour les Agendas 21 locaux :

« Toutes les collectivités locales instaurent un dialogue avec les habitants, les organisations locales et les entreprises privées afin d’adopter un programme Action 21 à l’échelon de la collectivité. »

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L’ONU veut parquer les humains pour protéger la vie sauvage

L’homme qui a sonné le tocsin s’appelle Henry Lamb. Il écrit des éditoriaux dans diverses revues défendant la théorie libertarienne (sorte d’anarchisme de droite, farouchement anti-gouvernemental), dont Renew America.

Lamb clame depuis des lustres que l’ONU a pour but de parquer les humains dans des cités surpeuplées, afin de vouer le reste de la planète à la préservation de la vie sauvage. L’Agenda 21 ne pouvait évidemment échapper à ses foudres. Voici ce que Lamb écrit le 18 avril sur Renew America :

« La différence entre le capitalisme et le marxisme, c’est le droit de propriété. Dans le premier système, les individus possèdent et contrôlent l’usage de ce qui leur appartient. Dans le second, la propriété est commune, et son usage est contrôlé par le gouvernement. […]

Les partisans du développement durable sont convaincus que les ressources terrestres ne sont pas inépuisables, et même en grand danger d’extinction, à cause du gaspillage effréné des sociétés humaines. Par conséquent, disent-ils, la seule façon d’assurer des ressources aux générations futures est de déléguer au gouvernement de la génération d’aujourd’hui le contrôle de l’usage des ressources actuelles. »

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Un système de contrôle gouvernemental

A peu de choses près, je trouve jusque-là son analyse plutôt correcte. Mais Henry Lamb poursuit :

« D’une manière ou d’une autre, c’est l’excuse utilisée par des municipalités aux Etats-Unis pour imposer un système de contrôle gouvernemental baptisé développement durable, qui s’incarne dans les plans d’occupation des sols. »

Le 24 avril, soit après l’article de Mother Jones qui n’a fait qu’amplifier la polémique, Henry Lamb en rajoute une louche sur Renew America :

« Une communauté après l’autre, le même scénario se répète. Le gouvernement fédéral, par le biais de l’Agence pour l’Environnement, du ministère du Commerce ou de l’Intérieur, distribue des subventions aux collectivités pour les inciter à développer un avenir plus vert. »

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Lamb explique comment ces manœuvres subtiles ne sont pas toujours présentées au public comme dictées par l’Agenda 21, mais que le résultat est bel et bien là : ces actions en faveur d’un développement plus durable sont directement inspirées de la Convention de 1992 :

« Ces plans doivent être rejetés, pas seulement car ils émanent de l’ONU, mais parce qu’ils empiètent sur la liberté personnelle et les droits de propriété. Ce genre de règle urbanistique confère au gouvernement le droit d’obliger les particuliers à utiliser tel ou tel matériau de construction, ou encore de régler la température de leur logis ou bureau à tel ou tel niveau. »

Inadmissible, n’est-ce pas ? Les militants des mouvements du Tea Party relaient sur le terrain la croisade de Lamb. L’une des activistes les plus connues est Donna Hold. Elle vit en Virginie, où elle travaille pour Campaign for Liberty, la machine électorale du libertarien texan Ron Paul. Celui-ci a annoncé la semaine dernière qu’il allait à nouveau être candidat aux élections présidentielles.

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Danger ! L’Amérique pourrait devenir un Etat soviétique

Donna Hold multiplie les meetings sur le thème de l’anti-développement durable. A Mother Jones, elle déclare :

« Cet Agenda 21 entend abolir la propriété privée, et, pour le coup, la Constitution américaine. Si cette vision onusienne devait l’emporter, nous deviendrions ni plus ni moins un Etat soviétique. »

Dans une tribune publié le 11 avril sur le site de Campaign for Liberty, elle déroule ainsi son raisonnement qui rend immédiatement compréhensible le fonctionnement du cerveau d’un tea-partyiste :

« L’Agenda 21 se lit comme le Manifeste du parti communiste. Il établit clairement son objectif : créer et maintenir un “bien-être social”. Mais qu’est-ce donc que ce “bien-être social” ? Voyons cela. »

Diana Holt cite donc mot à mot la définition de l’Agenda 21, laquelle explique que, pour que les gens vivent bien ensemble, une forte dose de « justice sociale » est indispensable. C’est cette expression qui horrifie Holt :

« Ces deux mots n’éveillent pas des soupçons en vous ? La justice sociale, selon diverses définitions, consiste en :

  • une juste répartition des propriétés et des bénéfices au sein d’une société ;
  • l’adhésion à la théorie selon laquelle les moyens de production, le capital, les terres, etc. doivent appartenir à tous ;
  • une redistribution des richesses.

Il s’agit donc de socialisme. »

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Le grand mot est lâché. Il est inacceptable. Diana Holt conclut ainsi sa tribune et ses meetings :

« Vous avez le choix : posséder et contrôler vos propres biens, ou devenir vous-même la propriété des autres. »

Evidemment, vu comme ça, on a froid dans le dos. Il n’est que de lire, dans le dernier numéro du magazine féminin More, cet article sur « le grand réveil des mamans patriotes » : après la réforme médicale d’Obama, le développement durable est le nouveau grand Satan.

Rappelez-vous tout de même que les membres du Tea Party et les libertariens ne sont pas majoritaires aux Etats-Unis. Et que, pour la plupart, ils appartiennent à la petite classe moyenne qui possède peu, ou alors tout à crédit.

 

Cet article est paru sur le site Rue89