Corridas : à propos du patrimoine culturel immatériel

L’inscription des corridas au « patrimoine culturel immatériel » de l’humanité est en fait envisagée depuis plusieurs années.

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par Georges Chapouthier

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Le numéro d’été 2008 de la revue Culture et Recherche, publiée par la Mission de la recherche et de la technologie du ministère de la Culture et de la Communication, nous apprend que, depuis 2003, l’UNESCO vise à défendre le patrimoine culturel immatériel. C’est-à-dire, à côté des monuments, qui constituent le patrimoine « matériel » traditionnel, les « arts du spectacle, traditions et expressions orales, pratiques sociales, rituels et évènements festifs, savoir-faire artisanaux… », qui relèvent, quant à eux, de l’immatériel culturel.

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Pourquoi pas. Après tout, la culture ne se transmet pas seulement par les monuments. Mais il est clair que toute tradition culturelle ne peut pas être d’office considérée comme devant être respectée.

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Une tradition culturelle ne doit être respectée que si elle est moralement respectable et ne valorise pas la violence. Les combats dans les arènes de la Rome antique ou les exécutions capitales publiques ont été des traditions de cruauté « culturelles » ; personne ne songerait aujourd’hui à les inscrire à un « patrimoine culturel immatériel » de l’humanité !

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Alors, on peut être à la fois surpris et inquiet en voyant que la couverture du numéro ne comporte, comme seule illustration de ce patrimoine immatériel, que des « jeux taurins ». Ces jeux traditionnels du sud de la France, comportent encore des pratiques très douloureuses (comme la castration « à vif », c’est-à-dire sans anesthésie, des jeunes taureaux adultes, une pratique qui devrait être interdite) ; s’ils étaient « civilisés », leur inscription au patrimoine culturel pourrait être discutée.

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Mais ne risque-t-on pas de voir alors la course de taureaux « à l’espagnole », avec banderilles et mise à mort, cette pratique, moralement abominable, qui consiste à massacrer un taureau « avec art », suivre le même chemin ? D’autant qu’il y a quelques années, le gouvernement français avait, curieusement, attribué la légion d’honneur à un torero espagnol, une décoration qui, dans ce cas, ne peut être attribuée que pour illustrer la « culture » !

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Certes, la course à l’espagnole comporte un certain nombre de choix esthétiques « culturels » : musique, décors, habit de lumières pour le torero… Mais tout cela ne vient guère compenser le sordide de la torture et de la mise à mort d’un animal. Faudra-t-il, au nom de cette « culture » dévoyée, aller jusqu’à emmener nos enfants voir la mise à mort d’un taureau, pour leur donner le sens du patrimoine culturel, comme on les emmène au Louvre ou à Versailles ? Espérons que non et que l’inquiétude que je formule ici s’arrêtera à mes propos. Que jamais nos dirigeants ne feront le saut catastrophique que j’évoque, qui consisterait à passer des jeux taurins à la corrida à l’espagnole, la corrida de muerte.

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Car, pas plus que la beauté des habits militaires ne vient compenser le désastre moral de la guerre, les quelques traits « esthétiques » qu’on y peut trouver ne viennent compenser le désastre moral de la corrida. Non, l’habit de lumières ne devrait jamais permettre à cette horreur morale de faire son entrée dans le « patrimoine culturel immatériel ». Clairement ici, l’habit ne fait pas le patrimoine !

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Une première version de ce texte a été publiée en 2008 dans La Voix des Bêtes, N° 212 et dans le Bulletin de la Ligue Française des Droits de l’Animal, N° 60.

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