La religion de la croissance

Du rapport du Club de Rome à nos jours, de la croissance zéro à la décroissance.

.

par Michel Sourrouille

.

On dit souvent que notre époque a perdu la foi, que Dieu est mort, que le matérialisme est devenu l’unique vérité… C’est vrai, pour les pays qui n’interdisent pas le blasphème ! Mais une religion chasse l’autre, l’espèce humaine a besoin de croire. La croissance économique est donc devenue la religion contemporaine d’une société matérialiste. Il s’agit d’une croyance bien institutionnalisée qui possède ses temples (grandes surfaces, galeries marchandes…), ses prêtres (les économistes, les représentants de commerce…), ses messes rituelles (salons de l’auto, foires d’exposition…). Son catéchisme est enseigné par les organismes publicitaires qui rendent les cerveaux disponibles pour acheter le dernier objet consacré par l’industrie. Les scientifiques et les politiques reprennent en cœur « Emploi, concurrence, compétitivité, investissement, libre-échange, PIB, progrès, technologie… Ainsi soit-il, alléluia ». L’apostasie est difficile, échapper à la consommation de masse, au Coca Cola et au dernier portable est une déviance qui en d’autres temps aurait mérité le bûcher.

.

Pourtant, cette religion de la croissance nous mène à la ruine. Elle nous vide les poches et les nappes phréatiques, détériore le climat, épuise sols et sous-sol, vide l’espace du capital naturel pourtant si nécessaire aux générations futures. Les mécréants le savent depuis 1972 et le rapport du Club de Rome : les ressources terrestres sont limitées et la croissance exponentielle dans un monde fini est impossible. Réalité difficile à croire pour des croissancistes qui ne savent que répéter en boucle « Emploi, concurrence, compétitivité, investissement, libre-échange, PIB, progrès, technologie… Ainsi soit-il, alléluia ». À l’époque, ce rapport scientifique a été traîné dans la boue par tous les croisés de la croissance, quelle que soit leur idéologie. Georges Marchais, du Parti communiste, instrumentalisait le débat au profit de sa campagne pour le « non » au référendum sur l’élargissement de l’Europe et a fait son sermon habituel sur les sombres desseins qui se trament dans le dos des peuples. Le Conseil national du patronat français renchérissait : « Au nom de la recherche d’une meilleure qualité de la vie, faut-il proposer une société de rationnement ? Une forte croissance économique est indispensable pour couvrir les immenses besoins non encore satisfaits… » Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances, proclamait qu’il ne veut pas « devenir objecteur de croissance ». François Mitterrand rajoutait en 1975 : « Pour nous, socialistes, la formule croissance zéro serait considérée comme un scandale par les peuples du tiers-monde, ou simplement par les classes sociales des pays industriels qui ne participent pas pleinement à la croissance. » Gauche-droite, même religion, même combat.

.

Nous sommes en 2011 et rien n’a changé pour les fidèles du croissancisme. Pourtant, tous les signaux écologiques sont au rouge à cause de la croissance économique. Le pic pétrolier est passé, nous commençons progressivement la descente énergétique et Fukushima devrait signer l’arrêt de mort du nucléaire… Tous les signaux économiques sont au rouge à cause de la croissance économique. Endettement massif dans les pays les plus riches du monde, incontrôlables dérapages de la finance internationale… Tous les signaux sociaux sont au rouge : chômage structurel dans les pays occidentaux comme dans les pays pauvres, individualisation croissante et phénomènes de masse, perte d’identité et perte de repères… Mais les propagandistes du PS et de l’UMP tiennent le même discours : s’il y a péril en la demeure, seule la croissance nous sauvera, la technique peut faire des miracles : il y aura les biocarburants de troisième génération, les centrales de quatrième génération, Astrid et Iter, etc. La foi rend aveugle.

.

Mais les mécréants commencent à se multiplier. Pas plus tard que dans le courrier du jour du Monde*, un objecteur de croissance nous engage à éviter de percuter le « mur énergétique » en optant pour une « décroissance soutenable ». Nicolas Hulot, un candidat aux présidentielles 2012, a écrit dans un de ses livres** : « A mes yeux comme à ceux de tous les écologistes, la question centrale qui se pose désormais est celle-ci : la croissance est-elle la solution ou le problème ? La réponse ne souffre guère de doute, nous nous heurtons aux limites de la planète. Un élève de CM1 peut comprendre que si notre appétit augmente alors que notre potager demeure à taille fixe, il ne peut y avoir de dénouement heureux » ; « À défaut de la notion idéale qui reste à inventer, celle de croissance sélective doublée d’une décroissance choisie peut rester l’ultime voie ».

.

Trop tard pour une décroissance choisie ? L’histoire a montré que l’improbable est possible quand la contrainte est imparable. Nous en sommes là, la religion de la croissance a fait son temps, vivons autrement, votons.

.

* Le Monde du 26 avril 2011 : Environnement : la solution, bifurquer

.

** Le syndrome du Titanic-2 (2009)

.

Cet article est paru sur le site du Monde, dans la partie réservée aux abonnés.

.