Un peu d’histoire : Vanoise, victoire pour demain

Jean Carlier est décédé ce 5 avril 2011. Il avait publié cet article en 2001 dans la revue TOS.

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Par Jean Carlier

Pour commencer par une confidence, l’espoir que j’entretiens pour notre avenir encore fragile, reste encouragé par le titre du livre que j’ai publié il y a trente ans (1), sur un phénomène qui a marqué la seconde moitié du XXe siècle : l’avènement de l’écologie moderne, sortie des laboratoires et descendue dans la rue pour aider à la survie de l’espèce humaine et de toutes les autres espèces, animaux et végétaux de nos écosystèmes qui n’en finissent pas d’être en péril.

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Un combat, qui, contrairement à une erreur encore trop répandue, n’est pas né en 1968 avec les émeutiers qui sciaient les arbres du quartier Latin. Il est né dix ans plus tôt avec la prise en compte devenue indispensable, d’un nouvel aménagement du territoire. Offensive assez urgente pour accélérer les étapes : en 1960, une loi crée les parcs nationaux, en 1967 les parcs naturels régionaux, dès 1964 une loi sur l’eau de plus en plus polluée. Ainsi s’est amorcée la banalisation « historique » du mot « écologie » inventé cent ans plus tôt par un naturaliste darwinien Ernst Haeckel.

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Hélas ! Des prédateurs guettent déjà la naissance de ces parcs naturels. Notamment des industriels du tourisme pressés d’exploiter ce que les mercantis de l’époque baptisent « l’or blanc », la neige qui rapporte gros. En commençant par urbaniser les montagnes. Calcul encouragé par une valeur ajoutée qui devrait gonfler les tarifs, donc les profits, lorsque certains territoires sont « protégés », comme « labellisés ». D’où la ruée vers le premier en date des parcs, le Parc National de la Vanoise créé en 1963 et aussitôt convoité par un homme d’affaires assez persuasif pour convaincre le conseil d’administration de voter une amputation de ce territoire réputé protégé, pour y faire pousser une armée de gratte-ciel, dans la vallée la plus avalancheuse de la région !

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Naissance d’un ministère

Scandaleuse décision finalement bénéfique car elle déclenche une vague de protestations, de manifestations non seulement dans les Alpes, mais en différentes régions de France où l’on affirme que le problème n’est pas seulement régional. Au point d’obliger le président Pompidou à annuler l’amputation décidée. Aussitôt, les « écologistes » tout neufs chantent la « victoire de la Vanoise » qui, entre temps, a provoqué d’autres retombées bénéfiques : en janvier 1969, création simultanée de la FFSPN (Fédération Française des Sociétés de Protection de la Nature) devenue depuis FNE (France Nature Environnement) et de l’AJEPN (Association des Journalistes et Ecrivains pour la Protection de la Nature), devenue en 1981, les JNE (Journalistes-écrivains pour la Nature et l’Ecologie), cofondateurs en 1994 de la FIJE (Fédération Internationale des Journalistes de l’Environnement).

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En janvier 1971, juste avant de rendre au Parc de la Vanoise son intégrité, le président Pompidou crée un ministère de l’Environnement, que nous étions quelques-uns à réclamer. Ministère présent sans interruption depuis 30 ans. Peu après, je lance l’aventure en 1974 du candidat écologiste René Dumont, qui me permet d’obtenir à R. T. L. et d’assurer ensuite pendant huit années la première chronique écologique sous le titre « La qualité de la vie ».

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Bientôt 50 parcs

Finalement en 1977, un ministre de l’Environnement qui a de la mémoire me nomme administrateur du Parc de la Vanoise que nos actions conjointes ont fini par sauver mais n’ont pas définitivement sauvé. Depuis trente ans, ont été admises certaines entorses au strict règlement initial pour permettre la traversée des skieurs et randonneurs entre diverses stations et, de temps à autre, apparaissent des propositions pour faire mieux rimer, croit-on, économie et écologie. Donc, une victoire qui oblige à rester vigilant. J’ai même songé un moment à ajouter un point d’interrogation au titre de mon livre-témoignage « Vanoise, une victoire pour demain » pour alerter les hyper-optimistes.

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Il faut rester vigilant pour les autres parcs aussi, créés depuis, car il est évident que si la Vanoise avait été amputée, les autres risquaient de l’être ensuite. Donc la victoire de la Vanoise a sauvé les autres parcs ciblés d’avance par de nouveaux appétits mercantiles. Bienfait supplémentaire, cet « exemple » de la Vanoise a fini par convaincre les populations hostiles aux parcs dont elles n’attendaient que des contraintes insupportables. Hostilité violente parfois. Certains « Parisiens » envoyés du ministère pour discuter du protocole à signer ont vu crever les pneus de leur voiture par les autochtones jaloux de leurs libertés locales et partisans du « Foutez le camp ! » pour les trouble-fête « étrangers ». Hostilité largement disparue aujourd’hui, l’expérience des autres ayant prouvé que les avantages apportés par les parcs dépassent largement leurs éventuels inconvénients. Alors les candidats, rares au début, se bousculent aujourd’hui. Il existe déjà 7 parcs nationaux dont un à la Guadeloupe, et 38 parcs régionaux, en attendant les autres puisque 8 projets sont à l’étude. Véritable phénomène social, écolo-politico-social de notre fin de siècle débordant sur le suivant. 2001 étant l’année de célébration du centenaire de la loi de 1901 sur la liberté d’association, le mouvement associatif est l’un des moteurs les plus efficaces de l’avènement des parcs naturels.

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Hommes, bouquetins et poissons

Enfin, on aurait tort d’ignorer une critique qui a la peau dure : les « écolos » ne pensent qu’à la nature, aux animaux, aux petites fleurs et aux grands arbres. Ils ne pensent pas au sort des humains. Il est vrai que la couverture de mon livre « Vanoise, victoire pour demain » est ornée d’une tête de bouquetin, fier seigneur des Alpes. Le V de ses énormes cornes souligne même le V du mot « Victoire ». Cependant, il n’est là que pour rappeler la solidarité forcée entre hommes, animaux, végétaux, paysages. Alors, sauver la Vanoise c’est sauver l’Homme qui y vit, mais aussi bouquetins, chamois, marmottes, aigles, ombles et truites, gentianes, génépis, edelweiss, conifères etc. Bref, tout ce qui vit et cohabite. Sinon l’Homme n’est pas sauvé tout seul.

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En 1989, lors du bicentenaire de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (devenu aujourd’hui éco-citoyen), j’ai rédigé un 31ème article à ajouter à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1948 qui en comporte 30. Avec l’approbation de plusieurs associations (JNE et autres), je suis allé, invité par Greenpeace sur le « Rainbow Warrior », l’apporter à New-York au siège de l’ONU où j’avais rendez-vous et où l’on m’a très cordialement accueilli. Voici cet article 31 qui, au fond d’un tiroir new-yorkais, attend depuis douze ans déjà, de retrouver la lumière du jour et la chaleur des débats. Sans oublier le second paragraphe sur l’indispensable liberté d’expression.

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Un droit de l’homme et de tous les vivants

Tout être humain a droit au maintien des équilibres écologiques de son milieu de vie, partagé avec tous les autres vivants, animaux et plantes, dont la survie, garante de sa propre survie, doit être assurée.

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Ce droit de chacun implique le devoir pour tous – individus, organisations, Etats – de partager la responsabilité de l’eau propre, de l’air pur, de la terre saine, dans le cadre d’une solidarité planétaire indispensable, et d’exiger dans ce domaine, le respect de l’article 19 de la présente Déclaration ainsi précisé : doit être garantie la libre collecte, expression et diffusion sans restrictions, en toutes circonstances, des informations et des idées.

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1. Vanoise, victoire pour demain, Jean Carlier, collection Examens dirigée par Pierre Dumayet, éd. Calmann-Levy 1972.

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Jean Carlier fut directeur des informations de RTL de 1967 à 1982, et membre du conseil d’administration du Parc de la Vanoise (à partir de 1978). Il a reçu la médaille d’argent de l’Académie d’agriculture pour son livre « Vanoise, victoire pour demain », remise par un certain Jacques Chirac, alors ministre de l’Agriculture !