Du FME (Forum mondial de l’eau) au FAME (Forum alternatif mondial de l’eau)

Benedito Braga est un technocrate brésilien. D’ici peu, nous serons en mesure de dresser un portrait plus précis du personnage.

par Jean-Claude Oliva

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Jean-Claude Oliva ; Bintou, présidente d’une association de femmes au Sénégal et Antoine Richard, d’ATTAC Marseille au Forum social mondial de Dakar – Photo Eric Faisse

En attendant, il suffit de savoir qu’il est le président du comité international pour le 6e Forum mondial de l’eau (FME) qui aura lieu à Marseille en mars 2012, c’est-à-dire une sorte de faux-nez destiné à faire oublier que le président du Conseil mondial de l’eau (CME) qui organise le FME avec l’Etat français et la ville de Marseille, est Loïc Fauchon, PDG de la Société des eaux de Marseille (SEM), filiale de VEOLIA.

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Quel est l’objectif du FME selon M. Braga ? « L’idée est de développer un pacte mondial de l’eau grâce à la participation de tous ».

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Le mouvement qui a fait bouger les lignes

Sans faire insulte à M. Braga, on peut remarquer que d’autres ont eu cette idée (bien) avant lui : il y a treize ans, Riccardo Petrella publiait Le Manifeste de l’eau : pour un contrat mondial de l’eau (Editions Labor, Bruxelles), ouvrage devenu une référence pour les alter-mondialistes dans le domaine de l’eau.

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Bien entendu, « le Contrat mondial de l’eau se fonde sur la reconnaissance de l’eau en tant que bien vital, patrimonial, commun mondial ». Rien de semblable pour le Pacte de M. Braga, qui développe tout un jargon « d’objectifs cibles », de « solutions concrètes» et de « recommandations nécessaires» (ou l’inverse) sans en indiquer le sens.

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A ces réserves près, on voit M. Braga bien inspiré. Mais il n’est pas le seul. Loïc Fauchon, maître du monde de l’eau (MME), lui-même, se prononce « pour la création d’un parlement (mondial) de l’eau » !

http://intergroupwater.eu/sites/intergroupwater.eu/files/documents/newsletter/issue1.pdf

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Une action prioritaire du Manifeste de l’eau était « la mise en place d’un réseau des Parlements pour l’eau, bien commun mondial », devant déboucher sur « la mise en place, le plus vite possible, d’un parlement mondial de l’eau ». Le Manifeste évoque aussi « la création d’assemblées parlementaires à l’échelle des bassins inter-étatiques », mais M. Fauchon (MME) n’a pas encore lu ces pages-là.

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Ou alors, cette idée ne provoque pas la franche adhésion de l’alliance des Etats et des multinationales au sein du CME ? Toujours est-il que la reprise, au moins formelle, des idées des contestataires de la marchandisation de l’eau est un signe de plus de la défaite des promoteurs de cette même marchandisation sur le terrain des idées et de la culture.

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Dans le Monde du 26 octobre 2001, sous le titre « de l’eau pour tous, vite ! », Gérard Mestrallet, alors PDG d’Ondeo-Suez, livrait un impudent plaidoyer en faveur des partenariats publics privés, égrenant de Buenos Aires en Argentine à La Paz en Bolivie, en passant par Atlanta aux USA, Manille aux Philippines, Casablanca au Maroc, des contrats…perdus depuis par Suez ou fortement contestés et en sursis !

http://www.pseau.org/outils/ouvrages/vraie_bataille_eau_suez_2001.pdf

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De l’eau a coulé sous les ponts en dix ans. Un boulevard est donc ouvert pour le Forum alternatif mondial de l’eau (FAME) qui se tiendra à Marseille du 10 au 18 mars 2012, c’est-à-dire avant, pendant et après le FME ? A certaines conditions toutefois…

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La première condition est d’obtenir des financements publics. Car, si ceux-ci se déversent en abondance (au moins 30 millions d’euros) sur le FME, rien n’est encore certain pour le FAME. « Ce soutien serait de bonne tradition républicaine, comme il a été pratiqué notamment par le président de la république, M. Chirac, lors du Forum social européen en région parisienne en 2003 et lors d’autres contre-sommets », rappellent les organisateurs dans un courrier adressé à Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Ecologie, début décembre…

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La région PACA (où se dérouleront le FME et le FAME) a annoncé son soutien aux deux manifestations (dans des proportions de 1 à 10 en faveur du FME). D’autres collectivités territoriales peuvent suivre. Tout cela est à concrétiser très rapidement maintenant. En tout cas, dans les collectivités territoriales, il s’agit d’une bonne occasion pour la gauche, socialiste en particulier, de mettre en cohérence ses actes avec ses discours, ce qui n’est jamais évident dans le domaine de l’eau, on l’a vu encore récemment avec le retour de l’agglomération Est Ensemble dans le giron du SEDIF-Veolia par le vote des élus du PS, de la droite et d’une minorité des élus du PCF

http://eauidfactu.blogspot.com/2010/12/communique-de-la-coordination-eau-ile.html

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A comme alternative

La deuxième condition pour la réussite du FAME est de ne pas en rester aux discours généraux et généreux sur « l’eau, c’est la vie », « l’eau n’est pas une marchandise », etc., devenus majoritaires dans l’opinion publique.

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A présent, il s’agit d’aller plus loin dans l’élaboration commune de contenus alternatifs et d’un discours de l’eau. Il ne s’agit pas de tout inventer, mais d’aller chercher des analyses et des expériences qui existent déjà au sein des diverses associations, des experts et des élus. Et à partir de là, de construire ensemble des questions et des réponses nouvelles et pertinentes.

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Il faut voir, par exemple, comment le colloque sur « l’eau et la terre », prévu par la Coordination Eau Île-de-France début avril, la campagne pour un moratoire sur les gaz de schiste ou encore l’action climatique s’intègrent au FAME. Sur chacune de ces questions, s’élabore l’alternative qui est la raison d’être du FAME.

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A la question économique du mode de gestion, public ou privé, doivent s’ajouter la question politique et démocratique et la question environnementale et sociale. Dans le domaine de l’eau, la concentration des pouvoirs dont le Syndicat des Eaux d’Île-de-France (SEDIF) offre un exemple caricatural avec un exécutif souvent réduit à son seul président, se retrouve, sous différentes formes, un peu partout dans le monde.

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Dans Il y a loin de la coupe aux lèvres (Editions Charles Léopold Mayer), Moussa Diop met en évidence l’appropriation politique de la ressource par les chefs de villages et leur nomenklatura dans la région de Saint Louis du Sénégal.

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Autre enjeu au Nord comme au Sud, l’instrumentalisation politicienne dont l’eau fait l’objet lors des échéances électorales ; une question qui n’est pas théorique pour le FAME situé à la veille des élections présidentielles françaises !

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Tout en accueillant les élus et en élaborant main dans la main avec les autorités locales des partenariats publics-publics, le FAME se doit de rendre la parole aux citoyens et aux associations et de faire respecter son autonomie.

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Troisième condition, c’est de dépasser la situation actuelle où l’eau est une grande cause, mais où ses militants, « les porteurs d’eau » pour reprendre la belle expression de la Fondation France Libertés, sont encore trop dispersés et trop faibles en terme d’organisation.

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Cela rejoint la première condition, à savoir les moyens dont disposera le FAME. Mais aussi la deuxième, si le FAME est capable de s’ouvrir aux questions démocratiques, environnementales et sociales, alors de nouvelles ONG y participeront et de nouvelles alliances seront possibles.

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Sur toutes ces questions, de premières réponses ont été apportées à l’occasion du FSM (Forum social mondial) de Dakar. On en reparle bientôt.

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Jean-Claude Oliva, membre des JNE, est Président de la Coordination Eau Île-de-France

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A suivre
Sur la route de Marseille (3)
En passant par Dakar

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