La pollution dans la région d’Alger

Voici un entretien que M’hamed Rebah, journaliste spécialisé en environnement, membre des JNE, a accordé à un hebdomadaire algérois (Alger-Hebdo, 8 novembre 2010) sur la pollution dans la région d’Alger.

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La cimenterie de Meftah, près d’Alger, a bénéficié récemment d’un dispositif moderne de filtres à manche avec un objectif de qualité. Pourquoi ne pas régler le problème définitivement du moment qu’elle continue à polluer Alger ?

L’équipement de la cimenterie de Meftah à l’aide d’un dispositif anti pollution est un progrès. Pour les habitants de Meftah et l’Association écologique locale, c’est une victoire qui vient couronner une longue lutte que même les années de terrorisme n’ont pu interrompre. Pour la petite histoire, il est bon de rappeler qu’en avril 1994, l’Association écologique de Meftah avait fait paraître dans la presse une petite annonce, insolite à l’époque, recherchant « un avocat spécialisé dans les questions environnementales pour lui confier le dossier sur les effets de la pollution générée par la cimenterie de Meftah, aux fins de poursuites judiciaires ».

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Cette lutte s’est poursuivie dans les années 2000 comme le prouve l’action menée le 30 septembre 2002. Ce jour-là, les commerçants et les habitants ont fait de Meftah, une ville morte où tout était fermé. Les promesses d’installation d’électrofiltres rarement tenues aux échéances fixées et, de surcroît, inefficaces, une fois installés, ont forgé chez les animateurs de l’Association écologique un sens de la vigilance qu’ils exercent aujourd’hui encore. Ils méritent qu’on leur fasse confiance pour que le problème de pollution ne se pose plus dans leur région. A ce propos, il faut rendre hommage au regretté Hamoud Merabet qui a été le fondateur et le président de l’Association écologique de Meftah. Si la cimenterie ne pollue plus l’air de la ville, c’est grâce à son combat.

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Le critère de vérité sur les intentions « écologiques » du groupe Lafarge, actionnaire majoritaire dans la cimenterie, est dans l’amélioration des conditions de travail qualifiées de difficiles par les journalistes qui ont visité l’usine (chaleurs des fours, poussière,..) et qui ont noté les doléances des travailleurs : absence de masques, de rations de lait dans la cantine, salaires dérisoires, médecine du travail insuffisante…

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Serait-il judicieux, selon vous, de fermer cette cimenterie du moment que, d’après les spécialistes de la santé,  ses profits sont loin d’égaler la facture sanitaire due aux méfaits de cette structure ?

Si une activité économique quelconque porte atteinte à la santé de la population, il peut sembler évident que la première mesure à prendre est d’y mettre un terme, mais les réalités sont autres. Le critère économique prévaut presque toujours sur le facteur environnement et si aucun mouvement de la population ne vient appuyer la revendication écologique, c’est la pollution qui l’emporte. Ceci dit, à ma connaissance, les écologistes de Meftah n’ont jamais demandé la délocalisation de la cimenterie, mais ils ont lutté pour que l’environnement et les populations soient protégés face à ce qu’ils considéraient comme un massacre écologique.

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L’industrie du ciment est à la fois polluante et énergétivore, on comprend que personne, en Europe, ne souhaite sa présence. Mais, chez nous, si, pour les mêmes raisons, on se passe de cette industrie, il faudra importer le ciment pour répondre aux besoins des programmes publics de construction de logements et des infrastructures qui nous manquent.

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Pensez-vous que le ministère de l’Environnement est à cheval pour ce qui est de la pollution à Alger ? Que devrait-il faire ? S’imposer sur le terrain ?

Les services du ministère de l’Environnement agissent dans les limites de leurs attributions et de leurs capacités. La situation écologique à Alger indique clairement que cette action est insuffisante (comme le montre l’exemple de la gestion des déchets). En fait, tout dépend des femmes et des hommes qui sont investis de la mission de protection de l’environnement, ils peuvent faire plus à condition qu’ils s’imposent. Exemple : si une autorité locale permet une activité bruyante sur la voie publique, le directeur de l’environnement concerné pourrait au moins lui faire savoir que la loi sur l’environnement exige une étude d’impact. Le fait-il ? Demande-t-il cette étude d’impact ? Rien ne l’indique. Pourtant, que perdrait-il à remplir son devoir ?

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Le parc automobile qui roule à Alger est-il un facteur de pollution ?

Les artères d’Alger sont plutôt étroites et confinées et la circulation y est peu fluide, avec des conditions météorologiques qui favorisent la formation de polluants. La situation à Alger est compliquée par sa position de ville portuaire. Mais, les données sont insuffisantes pour mesurer la pollution issue de la circulation automobile. Les données disponibles « officielles » sont sujettes à caution. Pour un objet plus facilement mesurable comme le nombre de véhicules en Algérie, deux institutions gouvernementales ont donné des chiffres différents : 4,1 millions de véhicules pour l’ONS (Office National des Statistiques) et 5,5 millions pour le ministère des Transports, l’écart correspond au nombre de véhicules qui composent le parc automobile de toute la Tunisie en 2009.

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Tant qu’il n’y a pas d’observatoire indépendant pour évaluer l’état de l’environnement, on ne saura presque rien de l’impact de la circulation automobile sur l’environnement urbain, particulièrement à Alger.

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Ne serait-il pas juste de réduire la circulation automobile à Alger ?

Il n’y a pas que la pollution de l’air. Le véhicule a pris une position dominante en ville. Il occupe toutes les poches vides transformées en parkings au détriment des aires de jeux et des espaces verts déjà fortement réduits par l’avancée du béton et la dégradation des jardins publics.

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La circulation automobile génère également une pollution sonore, à cause des moteurs défectueux, mais aussi de plus en plus, de l’usage abusif du klaxon et du volume du son des postes radios et lecteurs de CD, mis à fond et, parfois, même en pleine nuit, sans que les auteurs de ces infractions soient rappelés à l’ordre. Le nouveau code de la route a prévu des sanctions dans ces cas, mais, visiblement, elles ne sont pas appliquées. La pollution sonore est sous-estimée.

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La solution aux problèmes de pollution due à la circulation automobile est, en partie, dans le développement du transport public. Seulement, on connaît presque tout des projets du métro et du tramway d’Alger (lieux desservis, nombre de stations, nombre de voyageurs qui seront transportés, extensions prévue…), mais personne ne peut dire à quelle date partiront les premières rames.

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Un dernier mot ?

Dans notre pays, le développement durable est encore loin et l’Etat de droit aussi, ils sont inséparables de la démocratie qui reste à construire. La distance qui nous en sépare exige, de la part des écologistes, de l’endurance et de l’obstination.