Carine Mayo, présidente des JNE, vient de participer à un voyage sur l’environnement et le développement durable en Chine. Voici son premier reportage.
par Carine Mayo
On nous avait prévenus : « Pourquoi allez-vous à Chongming ? Il n’y a rien là-bas ! ». Effectivement, pour un habitant de Shanghai, la cité aux 6000 tours, l’île de Chongming, avec ses maisons basses, ses petits commerces et ses immenses roselières, peut paraître désespérément vide.
.
Et pourtant, cette langue de terre de 1200 km2 – la plus grande île alluviale du monde – abrite une zone humide d’importance internationale et est inscrite à ce titre sur la liste RAMSAR qui recense les zones humides à protéger. Un havre de paix s’étendant sur une superficie de 326 km2 qui constitue un lieu de halte migratoire très fréquenté par les oiseaux qui font le voyage de l’Asie de l’Est jusqu’en Australie. Chaque année, un million d’entre eux s’arrêtent là pour faire le plein de nourriture avant de poursuivre leur route.
.
L’île de Chongming est née, il y a environ 1400 ans, de l’accumulation de sédiments dans le delta du Yangtsé, qui charrie d’énormes quantités de matériaux depuis les montagnes du Tibet jusqu’à la mer de Chine. Longtemps, ses habitants y ont vécu de l’agriculture et de la pêche aux crustacés. Mais depuis quelques années, la physionomie de l’île s’est modifiée. D’abord, elle a accueilli une partie de la population qui a été déplacée lors de la construction du barrage des Trois-Gorges. Ensuite, elle a été reliée au continent par un immense pont de 10 km dont la construction s’est achevée fin 2009.
.
Devenue plus accessible, l’île de Chongming a vu sa fréquentation grimper, comme l’île de Ré, en France. Les villas résidentielles ont poussé comme des champignons, créant un étalement urbain important. A moins d’une heure de route de People’s square, le centre bouillonnant de Shanghai, l’île constitue l’une des dernières réserves foncières de la cité, et est à ce titre très convoitée. Qu’à cela ne tienne, la municipalité de Shanghai a prévu d’y construire une écoville autonome en énergie, pouvant accueillir de 50 000 à 80 000 habitants, juste aux portes de la réserve naturelle de Dongtan ! Mais pour le moment, le projet semble abandonné. La nature profite encore de ces moments de répit. Pour combien de temps ? Nul ne sait.
.
Reste que les autorités affichent la volonté de faire de cette île une vitrine de l’écologie, comme en témoignent les quelques éoliennes qui tournent en bordure de la roselière et les chauffe-eau solaires sur le toit des maisons. « La municipalité veut développer l’agriculture intensive bio sous serre, l’aquaculture et le tourisme durable » explique Anthony Boulord, un étudiant qui fait sa thèse sur le Paradoxornis du Yangtsé, un passereau qui vit dans les roseaux. L’étudiant, qui passe de longues heures seul dans la roselière à observer cet oiseau méconnu et à compter les nids pour évaluer sa population, a vu se développer juste à côté de son site d’observation un « wetland park » (parc des marécages) qui est une zone de loisirs où les Shanghaiens qui veulent s’échapper de la ville, peuvent faire de la barque, du vélo… « On y a planté des arbres au milieu des roselières pour y faire venir le plus d’espèces possible » explique-t-il. Une « dénaturation » du milieu d’origine à laquelle il faut ajouter l’assèchement de certaines zones, la construction de digues…
.
La richesse écologique de cette zone humide peine à être reconnue, et pourtant sans elle, il y aurait beaucoup moins de poissons, le delta du fleuve serait modifié et le risque d’inondation augmenterait. Mais comment concilier le développement rapide de cette région avec la protection de la biodiversité ? Parfois, Anthony aimerait pouvoir échanger avec d’autres étudiants ou des ornithologues amateurs chevronnés, comme ceux de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) en France. Mais ici, les ornithologues sont une espèce rare ! Toutefois, les autorités locales ont voulu bien faire. En deux mois, ils ont construit un parcours sur pilotis au milieu des roseaux avec un petit musée qui présente des oiseaux naturalisés. Mais l’oiseau étudié par Anthony, le Paradoxornis du Yangtsé, y est représenté sur une branche d’arbre alors qu’il vit dans les roseaux !
.
Cette volonté de sensibiliser la population à la vie de la nature – même maladroite – finira-t-elle par porter ses fruits ? D’autant que le Paradoxornis du Yangtsé, sous-espèce endémique du delta du fleuve, pourrait bien devenir l’emblème de Shanghai, comme l’ont laissé entendre les autorités, ce qui pourrait constituer un argument supplémentaire en faveur de la sauvegarde de cet espace naturel. Aussi, peut-être dans quelques années, ne verra-t-on plus l’île de Chongming comme une campagne sans grand intérêt, mais comme un poumon vert indispensable à la vie des Shanghaiens, qui abrite en outre un oiseau rare. A moins que la ville et le tourisme ne viennent grignoter un peu plus ce qui reste de nature dans cette partie de la Chine…