L’action humanitaire, acteur du développement durable

par Pierre Arnault

Il est des lectures de vacances qui donnent à réfléchir pour l’année – ou les années – qui suivent. C’est le cas de La justice dans la peau, géopolitique de l’action humanitaire, publié cette année. L’auteur, Denis Viénot, nous emmène dans un tour du monde de ceux qui souffrent, des faibles, mais aussi de ceux qui luttent, qui relèvent la tête dans et après les catastrophes.

Secrétaire général du Secours Catholique/Caritas France de 1991 à 1998, président de Caritas Europa de 1999 à 2005 puis, de 2005 à 2007, de Caritas Internationalis, Denis Viénot expose un large panorama d’actions menées dans le monde par le réseau Caritas, tant pour répondre à l’urgence qu’au développement ou au plaidoyer (action auprès des institutions internationales et des gouvernements). Cet ouvrage fourmille d’informations, d’analyses qui aident à mieux comprendre la situation dans de nombreux pays.

Parmi les nombreuses actions et pistes d’actions, les constats sans concession, figure le secteur agricole. En effet, des milliers de programmes agricoles se réalisent dans le monde grâce à des ONG, notamment le réseau Caritas Internationalis, au plus près des populations en s’appuyant sur leur expérience, par exemple dans le Nord-Est du Brésil où les programmes portent sur l’approvisionnement en eau potable, la récupération des sols, des techniques adaptées, la lutte contre la famine et l’exclusion sociale.

Denis Viénot attire l’attention sur les achats de terres par des sociétés étrangères qui détruisent des équilibres agricoles précaires mais essentiels pour les populations locales. La société sud-coréenne Daewo a “loué” pour 99 ans 1,03 million d’hectares auprès des pouvoirs publics de Madagascar pour cultiver des céréales et de l’huile de palme destinées à l’exportation. Par ailleurs, il souligne l’échec des cultures de substitution : un paysan afghan gagne 13 000 $ par ha en cultivant du pavot, contre 400 $ avec le blé.

L’auteur évoque également le changement climatique en soulignant le risque de conflits dans 46 pays touchant 2,7 milliards de personnes. A partir de Kiribati, dans le Pacifique, regroupe 33 îles de 2 à 3 mètres au-dessus du niveau de la mer, qui sont donc très vulnérables aux marées ; il constate que la température de l’eau a augmenté de 28 ° à 29 ° C depuis 1950, que les stocks de poissons baissent et que les pluies sont plus rares. Et de questionner : “où iront les réfugiés de l’environnement ?”, alors que les populations des pays riches détruisent l’environnement à force de consommation excessive, alors que la population des pays pauvres surexploite les ressources simplement pour survivre. Il estime que « les pays développés doivent s’obliger à un financement public additionnel d’au moins 130 Md € d’ici à 2020 pour permettre aux pays en voie de développement de s’adapter aux impacts du changement climatique et mettre en place leur développement durable ».

Dans la même perspective, il relève que « la gestion de l’eau est un volet essentiel des programmes visant à la lutte contre la pauvreté et au développement dans toutes ses composantes », car plus d’un milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable. S’il constate que la gestion des cours d’eau génère plus de coopérations régionales que de conflits au niveau des Etats, il n’en va de même pour « les niveaux locaux et individuels où les tensions entre les usagers de l’eau s’attisent ». Et de rappeler que « pour économique qu’elle soit, l’eau conçue comme un bien est un objet de droit ».

Enfin, dans les actions en cours, à noter celle de Développement et Paix, au Canada, qui demande que les compagnies minières canadiennes fonctionnent à l’étranger selon les mêmes standards qu’au Canada. Alors qu’aujourd’hui « les sociétés minières exploitent les richesses des pays du sud, saccagent l’environnement et contribuent à la corruption par des mécanismes financiers non transparents ».

Outre les informations multiples dans les domaines d’action des Caritas et autres ONG, Denis Viénot souligne donc la place essentielle accordée à l’environnement et au développement durable (on ose à peine utiliser ces mots tant ils sont galvaudés…) par ces organisations. Avec ces réalisations, de nombreuses actions auprès des instances internationales et des gouvernements sont menées sous le label “plaidoyer”. Un plaidoyer pour plus de raison, pour plus d’humanité.

La justice dans la peau, géopolitique de l’action humanitaire, par Denis Viénot, aux éditions DDB.