Tourisme et biodiversité

La Finlande veut faire d’un petit phoque en voie de disparition un symbole national tout en développant le tourisme dans son écosystème. Echec annoncé. Un reportage de Claude-Marie Vadrot, paru dans Politis.

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En partant de Savonlinna, près de la frontière russe, le bateau n’en finit jamais de découvrir et de contourner des îles : immenses ou bien minuscules n’abritant qu’une maison de bois et un sauna abrités derrière des pins et des bouleaux. Paysage sans cesse renouvelé, carte postale scandinave qui se déroule doucement dans une lumière qui s’éteint à peine au coeur des nuits de l’été. Une invitation à ne jamais dormir, à guetter sans relâche des oiseaux plutôt rares et des phoques dont on croit toujours apercevoir la tête entre deux vaguelettes ou se confondant avec un rocher. Car si la Finlande est connue pour ses lacs, plus de 60 000 même si le géographe se lasse de dénombrer les plus petits où s’ébattent les truites, les plus vastes abritant les saumons, elle se passionne aujourd’hui pour ses phoques. Des phoques d’eau douce que ce pays de 5,5 millions d’habitants répartis sur 340 000 kilomètres carrés, affirme vouloir transformer en symbole de biodiversité à sauvegarder. Alors, officiellement, le pays se mobilise pour sauver les derniers rescapés d’une chasse séculaire et convoque la presse. Au point, il y a quelques jours, d’avoir fait voter une loi pour tenter de les protéger et aussi, ce qui n’est pas plus facile, pour préserver l’immense lac Saimaa qui les abrite tant bien que mal. La Finlande a donc invité la presse française et suisse, avec l’appui de la Fondation (suisse) Franz Weber qui vole depuis des décennies au secours des espèces et espaces menacés, à venir jouer à cache-cache avec un mammifère aquatique en voie de disparition. La presse a donc patrouillé, à partir de Savonlinna sur le lac immense, entre tourisme, soleil et phoques discrets. Pas évident de repérer l’animal car il s’ébat dans un lac qui couvre 4400 kilomètres carrés, soit plus de 30 fois la surface de Paris. Et les autorités veulent plus évoquer le symbole en cours d’élaboration touristique que l’animal qui se dérobe pour cause de rareté tout en colonisant les brochures publicitaires.

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Les phoques finlandais s’ébattent dans de l’eau douce, contrairement à la plupart de leurs congénères, car lors du retrait de la Baltique il y a 8000 ou 10 000 ans, ils ont été pris au piège de mares maritimes perdant progressivement leur sel sous l’effet des cours d’eau qui s’y jettent. Ils se sont adaptés mais, dans le Saimaa, les naturalistes n’en comptent plus que 260. Bien peu pour assurer la survie d’une espèce qui se reproduit à partir de 4 ans et, encore, pas tous les ans. Les Finlandais les proclament uniques. En oubliant, pour les besoins de la cause qu’ils lancent, que 3000 ou 4000 autres phoques de la même espèce vivent encore, une centaine de kilomètres plus à l’Est, dans le lac Ladoga, en Russie, le lac qui donne naissance à la courte Neva qui coule jusqu’à Saint-Pétersbourg. Mais la politique explique cet oubli : ce grand lac se situe dans la partie de la Carélie confisquée par les Soviétiques à la Finlande à la fin de la dernière guerre. On rencontre aussi des phoques d’eau douce menacés de disparition en Sibérie, dans le Baïkal.

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Donc, la Finlande en fait des tonnes pour ses phoques qu’elle redécouvre. Dans la région de Savonlinna, c’est juré, tout le monde les aime, tout le monde veut les protéger et les hisser sur le drapeau touristique de la région et du pays. La preuve : sur le lac et ses bords, coexistent deux parcs nationaux. Problème : ensemble, ils ne couvrent que 143 kilomètres carrés : soit à peine 4% du territoire lacustre parcourus par les phoques à leurs risques et périls. Peu à peu, de pêcheurs en responsables touristiques ou en gardes de parcs, une réalité nuancée se fait jour. D’abord, en Finlande, le pouvoir ne veut pas obliger la population a respecter le milieu naturel, cela doit être volontaire : donc les autorités ne disposent guère de moyens de protection et de coercition dans un pays où la propriété est sacrée. Y compris celle de l’eau où s’abattent les phoques survivants. Rescapés de l’évolution naturelle et des pêcheurs qui les ont toujours considérés comme des concurrents parce qu’ils mangent des poisson, ces petits pinnipèdes lacustres subissent encore les effets de la pêche ; celle des amateurs comme celle de la cinquantaine de professionnels qui opèrent sur le lac avec des bateaux modernes. Les jeunes se prennent dans les filets et se noient ; et puis, un coup de gaffe est vite arrivé… Remède : les autorités versent des indemnités aux uns et aux autre pour « dissuader » la pêche de printemps. Tout reposant sur la confiance. Ce qui ne fait pas l’affaire des phoques.

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Comme l’essentiel des eaux et des rives est privé, sauf dans le minuscule espace des parcs, les constructions se multiplient sur les bords, y compris dans un espace Natura 2000 de 1700 km2 au statut tellement peu clair que la Commission européenne vient d’adresser une mise en demeure à la Finlande pour « ne pas avoir pris les mesures de protection nécessaire en ce qui concerne le phoque annelé de Saimaa, l’une des espèces de phoques les plus menacées du monde ». Rien de s’oppose au mitage des rives : les Finlandais pour leurs résidences secondaires mais surtout les Russes qui viennent de la région de Saint-Pétersbourg pour se construire de somptueuses villas. Comme celles qu’ils possédaient au temps où le pouvoir des Tsars s’arrêtaient à quelques kilomètres du château fort de Savonlinna construit par les Suédois. Comme ce « retour » est pacifique, rien ni personne ne peut s’y opposer.

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Conséquence visible sur le lac : les petits et gros bateaux le sillonnent et la limitation de leurs vitesses, surtout pour les hors-bord, n’est guère vérifiée. Pas plus que la circulation des motos neige et des voitures sur le lac l’hiver : les sanctions sont exceptionnelles. Comme pour les délits de pêche : juste des admonestations car il ne faut fâcher personne. La députée verte de la région, Heli Järvinen, qui avoue avoir été élue récemment « par miracle » l’admet rapidement. Tout comme elle reconnaît que « ma loi a été transformée avant son adoption et elle n’est pas très contraignante pour l’instant ». Tant pis pour les phoques qui ont pourtant déjà coûté une fortune à la Région et au gouvernement : 50 millions d’euros de primes et d’achat de « non-activité » dans certaines zones en quelques années. Sans effet probant : ce qui fait très cher le phoque dont le sauvetage n’est pas certain. Car, le changement climatique joue aussi contre sa survie : les petits naissent en février sur la glace du lac, dans des « nids » protégés par une couche de neige. Malheureusement, de plus en plus souvent, la neige fait défaut au moment crucial et ils meurent prématurément, à la fois brûlés par le soleil et saisis par le froid avant la première mue.

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Reste la question posée par cette situation et ce reportage sans cesse « tiré vers le tourisme » par les autorités soucieuses de vanter un paysage et une nature superbes, l’écotourisme et les plaisirs de la pêche. Les projets touristiques peuvent-ils être un facteur positif pour améliorer une protection trop légère et trop aléatoire pour être efficace à court et à moyen terme ? La question ne se pose pas seulement en Finlande : la course est inégale entre les exigences de la biodiversité et celles de l’économie des vacances cherchant à attirer de plus en plus de monde quelque part ; tendance ou tentation qui implique des équipements, des constructions et des circulations pas vraiment favorables à la survie des espèces sauvages, qu’il s’agisse du phoque, du lynx, de l’ours brun et des élans qui hantent encore les rives du Saimaa. Avec cette offre de reportage, les Finlandais et Franz Weber ont remis à l’ordre du jour un dilemme qui surgit de plus en plus souvent en Europe et ailleurs et à l’issue duquel la biodiversité sort de plus en plus souvent vaincue par KO technico-touristique.

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Mais on peut rêver : peut-être que les phoques s’en sortiront…

Claude-Marie Vadrot