Une tournée forestière au Portugal

L’Association Forêt Méditerranéenne, dont le siège est à Marseille, organise chaque année un voyage d’étude sur le terrain. Cette année, c’était le Portugal.

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par Roger Cans

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Pour nous y rendre, nous avons d’abord traversé le nord de l’Espagne, où la forêt se borne à des plantations d’eucalyptus. A gauche de la route, des eucalyptus, à droite de la route, des eucalyptus. Affligeant de monotonie. Ces arbres d’importation se régénèrent maintenant naturellement, de sorte qu’ils sont durablement installés.

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Au Portugal, il y en a aussi, mais beaucoup moins. Dans l’Alentejo (« l’outre Tage ») où nous avons circulé, les premiers eucalyptus ont été plantés dans les années 1950 pour lutter contre la malaria. Mais, depuis, les grands conglomérats du papier ont vu tout l’intérêt du bois d’eucalyptus pour fabriquer du papier blanc de qualité écriture (alors que les résineux servent pour le papier carton ou le papier journal). Donc, l’eucalyptus fait aussi partie du paysage portugais. Et il ne sert pas qu’au papier. Il m’est arrivé d’acheter en France un manche de pioche en bois d’eucalyptus fabriqué au Portugal !

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Cependant, l’essentiel des boisements est constitué de chênes verts (80 %) et de chênes liège (20 %). Dans les plaines de l’Alentejo, on ne trouve que de la savane arborée, où la densité d’arbres est très faible : 50 chênes verts à l’hectare et seulement 4 chênes liège à l’hectare (en moyenne). En fait, ce sont de vastes pâtures à vaches ou à moutons, où les arbres ne servent que de parasols. Les grands propriétaires fonciers ne vivent pas de la vente du bois, car le bois de feu (chêne vert) ne trouve plus preneur et le liège a perdu la moitié de sa valeur sur le marché. Ce qui rapporte, c’est la prime à la vache allaitante offerte par l’Union européenne, comme en Corse. Les bovins vivent leur vie seuls dans la savane, avec de l’herbe en hiver et des plantes sèches durant l’été. On ne s’occupe d’eux que pour les vendre. L’Union européenne, qui a décidément bon dos au Portugal, finance aussi des reboisements de chênes liège sur les terres en friche.

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Pour trouver de la vraie forêt, il faut aller dans la montagne, vers la frontière espagnole. Le maquis de cistes et de chênes verts abrite le chêne liège qui, là, est exploité. La première levée de liège (dit « mâle ») est faite lorsque l’arbre atteint 70 cm de tour. La première récolte ne donne que du liège à broyer pour faire des panneaux ou du matériel isolant. Le liège de repousse (dit « femelle ») sera récolté ensuite tous les neuf ans. C’est avec lui qu’on fait les bouchons de qualité. Les ouvriers chargés du démasclage travaillent avec une simple hache, dont le manche est taillé en pointe pour décoller l’écorce du tronc. Ils doivent faire attention à ne pas toucher l’aubier, sous peine de blesser l’arbre. Ils portent eux-mêmes leur récolte sur l’épaule jusqu’à la remorque d’un tracteur qui pénètre dans le maquis. Nous avons vu la même chose au Maroc, dans les forêts du Rif.

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L’arbre le plus exploité dans l’Alentejo est l’olivier, pour sa précieuse huile. Mais à la culture traditionnelle de l’olivier qu’on laisse vieillir en le taillant à hauteur d’homme pour faciliter la récolte, se substitue aujourd’hui une nouvelle technique : les oliviers sont plantés très serrés et taillés comme une vigne à 1 m 20, 1 m 30. De loin, on dirait en effet des vignes très denses, mais ce sont de jeunes oliviers qui vont être récoltés mécaniquement et que l’on ne laissera pas vieillir. C’est la culture industrielle de l’olivier…

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L’autre arbre très exploité est le pin pignon (notre pin parasol), planté par parcelles entières pour produire les pignes, très appréciées dans la cuisine. Mais, comme l’eucalyptus, il prend feu très facilement. L’incendie est la principale menace en « forêt méditerranéenne », même lorsqu’elle est plutôt atlantique.

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La cigogne est un oiseau omniprésent dans la région. A proximité des points d’eau, on voit des nids sur tous les poteaux télégraphiques (que l’oiseau préfère aux arbres pour sa sécurité). Sur les pylônes de lignes à haute tension, on aperçoit des anémomètres qui tournent constamment : ce sont des dispositifs pour dissuader cigognes et grands rapaces de se poser et de s’électrocuter. Astucieux et économique. Curieusement, on ne trouve pas d’éoliennes dans la région pour exploiter l’énergie du vent. Cela viendra peut-être.

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Nous visitons un Centre d’études et de sensibilisation à l’environnement, installé sur 200 hectares de collines. On y pratique le reboisement de chênes verts sur « bourrelets à double butée », arrosés par goutte à goutte. On y cultive les plantes aromatiques et médicinales. Des dames sont occupées au tri du fenouil séché, au milieu de cartons pleins de trésors : sachets d’origan, de tilleul, de romarin, de menthe, de sauge, d’immortelle et même de feuilles de frêne. Le Centre élève des ânes, des chèvres, des moutons… et des paons. Le caroubier, ici, est un arbre fourrager. On donne ses gousses chocolatées au bétail.

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On vante aussi l’architecture bioclimatique avec des constructions en pisé avec toiture reposant sur des cannisses. Le Centre a mis au point une cabane de berger modèle, dont plusieurs exemplaires sont exposés au milieu d’un champ. Les quelques cultures de céréales sont labourées selon les courbes de niveau, pour éviter l’érosion. Malheureusement, l’arrivée des tracteurs a perturbé cette bonne habitude héritée de la traction animale. Dans les collines alentour, bien des labours sont effectués dans le sens de la pente. La sensibilisation ne fait que commencer…
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