Miguel Arias Cañete et le climat, le fiasco prévisible

L’objectif des Vingt-Huit de réduire d’au moins 40 % leurs émissions d’ici à 2030 n’est qu’un effet d’annonce. Pour en juger, il suffit de lire les réponses au Monde* de Miguel Arias Cañete, commissaire européen à l’action climatique et à l’énergie.

 

par Michel Sourrouille

 
Pourquoi l’Europe s’est-elle orientée vers un marché du carbone et non vers une taxe carbone ?

 

Miguel Arias Cañete : Nous avons mis en place un marché du carbone pour lancer un signal aux entreprises. Si ce signal est puissant, il sera plus facile d’avancer vers la décarbonisation. Des pays comme la Chine ou les Etats-Unis ont eux aussi leur marché carbone, mais notre modèle est le plus organisé au monde, avec son mécanisme de droits d’émission diminuant année après année.

 

Commentaire de Michel Sourrouille : Il est significatif que le commissaire européen ne dit absolument rien sur la taxe carbone pourtant contenue dans la question. Cela veut dire que le meilleur moyen de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre, le signal prix constitué par une taxation du carbone, n’est plus une mesure envisagée au niveau européen.
Rappelons aussi que le marché du carbone a été inventé au début des négociations sur le réchauffement climatique par les Américains pour qu’on ne prenne pas de mesures contraignantes. Or les USA, après avoir obtenu toutes les compromissions qu’ils voulaient (marchandisation de l’effet de serre, bluff des puits de carbone…), ont abandonné le protocole de Kyoto dès qu’il s’agissait de signer.
D’une certaine manière, un marché carbone pourrait renchérir l’utilisation des énergies fossiles, donc limiter la consommation. Mais le passé plaide contre cette méthode qui dépend de décisions politiques, l’attribution de quotas, et d’un contexte socio-économique. Avec la crise financière de 2008, le prix du CO2 s’était effondré : 25 euros la tonne en 2008, 7 euros en 2012, puis 5 euros en avril 2013. Comme le Parlement européen avait rejeté une proposition de la Commission européenne de restreindre le nombre de « permis de polluer » pour relever le cours du CO2, le prix de la tonne avait frôlé les 3 euros. Aujourd’hui encore, le prix du carbone fluctue en Europe depuis 18 mois entre 5 et 7 euros la tonne, ce qui est beaucoup trop faible. Loin des propositions de la commission Rocard de juillet 2009 : « Il faut atteindre en 2030 un prix du gaz carbonique émis de 100 euros la tonne en démarrant à 32 euros. »

 

Comment l’Europe espère-t-elle atteindre son objectif de 40 % de réduction de ses émissions globales ?

 

Miguel Arias Cañete : Notre objectif de 40 % a besoin du développement des énergies renouvelables. Nous devons faire aussi d’importants efforts d’efficacité énergétique. Il nous faut également développer les infrastructures de recharge pour populariser les voitures électriques. La Commission est en train de finaliser un paquet transport pour lancer la voiture électrique à l’échelle européenne.

 
Commentaire de Michel Sourrouille : le scénario Négawatt se décline normalement en trois temps : sobriété, efficacité, renouvelables. Pour le commissaire européen, l’idée de sobriété passe complètement à la trappe. Or la réduction de nos besoins est pourtant le moyen le plus efficace de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. Notons aussi que le potentiel maximum des énergies renouvelables est bien moindre que notre consommation actuelle basée sur les énergies fossiles.
Enfin, l’efficacité énergétique, c’est-à-dire des prouesses technologiques plus ou moins réalisables, restera de son côté une cause minime d’économies d’énergie. De toute façon, l’idée d’un passage aux voitures électriques montre que Miguel Arias Cañete ne comprend rien à la problématique de l’énergie. L’électricité n’est pas une source d’énergie, il faut la produire. La voiture électrique n’est donc pas du tout neutre en tant que bilan carbone au niveau mondial. Cela présuppose aussi que nous ne changeons rien à nos habitudes de mobilité. La sobriété énergétique n’est toujours pas à l’ordre du jour.

 

L’Union européenne vient de décider de renforcer ses infrastructures gazières…

 

Miguel Arias Cañete : Oui, car nous devons faire face à un problème de sécurité énergétique important. La situation géopolitique nous contraint à trouver des sources complémentaires aux importations de gaz en provenance de Russie. Il existe d’autres sources, l’hydraulique, le nucléaire, le gaz de schiste. Chaque Etat reste autonome dans le choix de son mix énergétique.

 
Commentaire de Michel Sourrouille : Comme l’ensemble de nos dirigeants actuels, le commissaire européen n’envisage qu’une politique de l’offre et pas une politique de réduction de la demande d’énergie. Si une source d’énergie manque, on en trouvera d’autres ! Or le recours au nucléaire et au gaz de schiste pose d’innombrables problèmes que Miguel Arias Cañete laisse complètement de côté.
Enfin, l’autonomie énergétique proclamée de chaque pays européen montre qu’il ne pourra pas y avoir d’homogénéité dans la vision européenne d’une conférence climatique : il faudra s’aligner sur le moins-disant, réalité fort différente des proclamations chiffrées.

 
Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, veut faire de l’Europe la championne du monde des énergies renouvelables. Est-ce réaliste, avec des pays fortement dépendants des énergies fossiles ?

 
Miguel Arias Cañete : La croissance des énergies renouvelables suppose de gros efforts d’interconnexion électrique, d’infrastructures, de capture et stockage du carbone. Il est impossible de faire une substitution absolue d’un jour à l’autre. Le charbon et le gaz vont rester pour des années encore une source d’énergie pour l’Europe.

 
Commentaire de Michel Sourrouille : Cette réponse est déjà un aveu d’échec. La civilisation de l’après-carbone n’est pas pour demain, et ce n’est pas la conférence sur le climat à Paris en décembre prochain qui changera la donne. Il faudra attendre le prochain choc pétrolier pour enfin prendre conscience que notre mode de vie actuel n’est pas durable. Comme le marché carbone ne fonctionne pas, comme la taxe carbone est mise aux oubliettes par nos gouvernants, comme on est incapable de raisonner en terme de sobriété énergétique, le rationnement par une carte carbone deviendra inéluctable quand la pénurie se fera sentir. C’est ce que nous prévoyons sur notre blog depuis 2009.

 
* Le Monde du 31 mars 2015, « Le rendez-vous de Paris sur le climat sera crucial ».