Réserves naturelles : nature domestique ou sauvage ?

Une réserve naturelle est un outil réglementaire prévu par la loi de protection de la nature de 1976 pour protéger des espèces sauvages et des habitats naturels.

 

par Jean-Claude Génot *

 

A peine créées, ces réserves ont subi des critiques justifiées. On leur a reproché soit de servir d’alibi à la destruction de la nature s’exerçant à l’extérieur (ce qui a été le cas), soit d’être le symbole de notre résolution à accepter la pénurie de nature (on le constate aujourd’hui avec des espaces plus ou moins naturels isolés dans une matrice inhospitalière d’où l’idée d’une trame verte).

 

Malgré cela, les réserves naturelles se sont installées dans le paysage français sans débat de fond sur la place laissée à la nature dans notre société. Aujourd’hui la majorité des réserves naturelles fait l’objet d’une gestion interventionniste au profit de certaines espèces ou habitats et de nombreuses réserves sont aménagées pour l’accueil du public.

 

Cela a conduit François Terrasson à se demander si la nature protégée était encore naturelle. Trop peu de réserves naturelles forestières sont protégées intégralement sur la totalité de leur surface, alors même que la forêt n’a besoin d’aucune intervention pour exister. Cela montre l’incapacité de notre société anti-nature à accepter la nature en libre évolution et notre obsession du contrôle. Pour ne pas « mettre la nature sous cloche », sous-entendu pour continuer à la valoriser, on a autorisé de très nombreuses activités humaines dans certaines réserves telles que l’exploitation forestière, la chasse, la pêche et l’agriculture (souvent du pâturage).

 

Tout récemment encore, dans la lettre de liaison de SOS Loire vivante, 10 réponses étaient apportées aux questions les plus souvent posées sur un projet de réserve naturelle régionale dans la haute vallée de la Loire. Ce document a probablement été rédigé pour rassurer et faire accepter cette réserve aux multiples acteurs concernés. On y apprend qu’il sera possible d’y couper du bois avec une limite « durant les périodes de reproduction », d’y chasser, d’y pêcher, de s’y baigner alors qu’aujourd’hui c‘est interdit et d’y faire de l’agriculture « si possible bio ».

 

Manifestement, les promoteurs de ce projet ont confondu réserve naturelle normalement dédiée à la nature et site censé rendre possible de multiples usages dans la nature, comme dans le cas du réseau Natura 2000 où les activités humaines se maintiennent ou se développent en tenant compte de la protection d’espèces et/ou d’habitats.

 

Enfin, la question centrale arrive : « Tout deviendra sauvage : les milieux et les chemins se refermeront-ils ? » et avec elle, la réponse : « NON, l’objectif n’est pas de mettre « sous cloche », mais d’éviter les dégradations, de maintenir les milieux ouverts, d’entretenir les chemins, voire d’améliorer l’existant ». Le sauvage ? Vous n’y pensez pas, nous n’allons pas revenir au Moyen Age !

 

Ce n’est plus une réserve naturelle, mais une zone d’aménagement au seul profit des humains. La nature, comme toujours, n’a plus qu’à s’adapter aux hommes. Tous les poncifs sont réunis dans la réponse, de l’épouvantail de la « mise sous cloche » au nécessaire maintien des milieux ouverts.

 

Disons-le une fois pour toutes, la nature ne supporte pas les cloches ! Elle aurait tôt fait de changer, d’évoluer et de briser la cloche que l’on mettrait sur elle. La métaphore de la « mise sous cloche » correspond bien mieux au maintien des milieux ouverts par jardinage pour figer la nature qu’à la libre évolution. Enfin, faut-il encore le répéter, ce n’est pas parce que les milieux ouverts sont culturellement appréciés qu’ils sont les plus intéressants sur le plan écologique. Le milieu naturel de référence en France est la forêt, pas la prairie.

 

Comment en est-on arrivé à des projets vidés de leur sens commun, sans ambition ? Des projets pour jardiner la biodiversité qui sont la négation de ce que devrait être une réserve naturelle, à savoir une zone où l’homme laisse s’exprimer la naturalité alors qu’il intervient partout ailleurs. Cela donne raison à ceux qui pensent qu’une société anti-nature est incapable de la protéger.

 

D’ailleurs, à la dernière question « A quoi sert alors une Réserve Naturelle Régionale ? », la réponse a le mérite d’être claire : « Améliorer l’accessibilité de la vallée (par un réseau de chemins cohérents), éviter les clôtures barbelées, faire cohabiter les usages, garantir une gestion coordonnée des propriétés, maintenir les milieux ouverts, protéger la biodiversité, favoriser le maintien au pays par des activités économiques respectueuses ».

 

Ce projet tout à fait louable est celui d’un espace multi-fonctionnel que nous devrions mettre en œuvre sur l’ensemble du territoire, tout en laissant de la place à la nature sauvage. Or une réserve naturelle devrait servir à cela. Sans l’homme, s’inquiéteront les anthropocentristes ? Oui, un lieu sans agriculteur, sans forestier, sans chasseur, sans pêcheur et sans gestionnaire de biodiversité, mais ouvert à tous ceux qui veulent voir et apprécier la nature sauvage et apprendre l’humilité et ils sont nombreux. La réserve naturelle n’a pas à être un laboratoire de développement soutenable, ce n’est ni la bonne échelle (la réserve couvre 557 ha) ni le bon outil, il y a des parcs naturels régionaux pour cela.

 

La réserve naturelle doit être un espace dédié au sauvage. Ce n’est manifestement pas le cas dans l’exemple de la réserve naturelle de Haute Loire. En effet, SOS Loire vivante évoque le sauvage de façon très marginale pour des secteurs fortement pentus où les coupes de bois sont difficiles (jusque quand ?).

 

Mais l’objectif de cette réserve n’est pas de laisser de la place à la nature sauvage. Il s’agit plus d’une réserve culturelle, faite pour maintenir un paysage façonné par l’homme (maintien de milieux ouverts, entretien des chemins, agriculture, coupe de bois, pêche, chasse) où la nature sauvage est à peine tolérée. Ceci est un exemple de plus de l’offensive sans précédent de notre civilisation anti-nature de mettre un terme à tout ce qui est sauvage dans notre pays (grands prédateurs, cœur de parc national, forêts non exploitées, friches) et faire triompher une vision purement anthropocentrée et utilitariste de la nature.

 

Un avenir bien sombre car comme le disait Henry David Thoreau : « Ce que j’ai à dire, c’est que dans la Vie sauvage repose la sauvegarde du Monde ». L’avenir est dans les initiatives citoyennes comme celle de l’ASPAS avec la création de ses « réserves de vies sauvages » sans chasse et en libre évolution et de moins en moins dans des procédures administratives trop lourdes, qui, en se voulant consensuelles, se résignent à admettre des activités humaines incompatibles avec la nature sauvage. Sauf si les mentalités changent…

 

* Ecologue