par Sophie Chapelle |
.
C’est une décision de justice accueillie comme un beau cadeau de Noël par les écologistes. Le 23 décembre, le tribunal administratif de Grenoble a suspendu l’arrêté du 3 octobre 2014 du préfet de l’Isère qui avait délivré une autorisation « loi sur l’eau » à Pierre et Vacances pour la construction d’un Center Parcs sur la commune de Roybon.
Cette victoire judiciaire suffira t-elle à freiner l’avancée des bulldozers ? A entendre le groupe Pierre & Vacances qui se dit « légitime à poursuivre le défrichement dans le respect des autorisations délivrées » (NDLR : et se pourvoit en cassation comme l’indique le Monde), il faut croire que non…
Point de répit malgré les annonces médiatiques. A l’impuissance, les opposants préfèrent la désobéissance civile. Une arme qui conduit aujourd’hui des milliers de personnes à travers toute la France à créer des « zones à défendre » (ZAD). Sivens, Roybon, Notre-Dame-des-Landes : autant de noms désormais associés à des luttes, respectivement contre des projets de barrage, de complexe touristique et d’aéroport.
.
Ces dernières semaines, les alertes ont aussi afflué d’Agen pour empêcher la construction d’une zone industrielle de 215 hectares sur des terres agricoles, et des Landes contre un complexe golfique. Les plumes manquent pour suivre cette profusion de résistances.
D’un lieu à l’autre, les revendications ne sont pas uniquement environnementales : elles sont aussi liées à un profond désir de démocratie, comme l’analysent le sociologue Albert Ogien et la philosophe Sandra Laugier *. « Les bras m’en tombent quand je vois le mépris des élus pour l’enquête publique », me confiait un paysan en Isère. Et pour cause : malgré 60 % d’avis défavorables au projet de Center Parcs, le préfet a donné quelques semaines plus tard son aval à Pierre & Vacances. Faisant fi de la colère, des citoyens déterminés reprennent en main leur avenir en voulant participer aux décisions d’aménagement de leur territoire. Surtout lorsqu’il s’agit de projets pensés dans les années 60, comme dans le cas de Notre-Dame-des-Landes…
Ne faut-il pour autant voir dans ces luttes que des occupations défensives ? Avec une fâcheuse tendance à « bloquer la croissance » (sic) ? Les ZAD recèlent bien au contraire de multiples formes d’expérimentations qui dessinent d’autres modèles de sociétés. L’occupation et la rénovation de maisons abandonnées, la construction d’habitats alternatifs (cabanes dans les arbres, yourtes…), la création de jardins collectifs sur lesquels on se forme à la permaculture ou à l’agro-écologie, l’organisation de chantiers participatifs, et aussi beaucoup d’événements festifs, prennent tout leur sens dans un espace voué à être recouvert de béton.
Face à une société réglée sur la prédation des ressources naturelles, ces zones à défendre expérimentent des modes de vie alternatifs fondés sur des valeurs de partage et de respect, ancrés dans les territoires. Libérés de la menace policière et des bulldozers, les occupants de la zone humide du Testet sont en train de faire revivre les lieux en préparant les buttes pour des plantations au printemps. A Nantes, un Atelier citoyen misant sur l’expertise participative et pluridisciplinaire a été lancé pour plancher sur l’optimisation de l’aéroport existant. Une manière d’imaginer un futur s’appuyant sur les structures existantes.
Toutes ces zones à défendre font de la solidarité un vecteur commun. Les messages de soutien, l’arrivée quotidienne de vêtements, de fruits et légumes, la présence quotidienne de sympathisants de toute la région, renforcent ces mouvements. En Isère, la Confédération paysanne appelle à créer un maillage de points-relais pour fournir les zadistes en nourriture, matériels et formations à la construction paille. Preuve que les solidarités sont « translocales » – pour reprendre les termes du sociologue Nicolas Haeringer –, des comités de soutien à la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ont été créés partout sur le territoire. Dans un avenir rempli d’incertitudes, ces luttes tracent un sillon rempli de graines de résistances. La promesse d’un printemps fructueux.
* Le principe démocratie – Enquête sur les nouvelles formes du politique, La Découverte, 2014.
Sophie Chapelle collabore au site Basta ! Vous pouvez la suivre sur Twitter en cliquant ici. Cet édito n’engage que son auteur.