Biobernai 2013 – Arlette Rohmer : thé bio ou tu l’es pas ?

Dans le cadre du salon BiObernai 2013, les JNE ont visité le site des jardins de Gaïa, en Alsace. Rencontre avec sa fondatrice, Arlette Rohmer, qui a créé cette entreprise de commercialisation de thé bio il y a bientôt 20 ans.

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par Diana Semaska

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Le conditionnement artisanal aux Jardins de Gaãa
Le conditionnement artisanal des thés aux Jardins de Gaia – Photo Jardins de Gaia

 

La maison de thé des Jardins de Gaïa niche en périphérie de Wittisheim, dans le Bas-Rhin. Telle une parenthèse de sérénité au milieu de la laideur d’une zone industrielle. Nous y découvrons un jardin japonais semé de bambous, une cascade, des motifs circulaires dessinés sur du gravier. Et la fondatrice des Jardins, Arlette Rohmer. Originaire de Wittisheim, elle est la première à avoir commercialisé du thé bio en France, en 1994. « J’ai toujours aimé les plantes, je me souviens de balades en forêt avec mon père… Et j’avais envie de voyager. » Militante de la bio de la première heure, elle se met à barouder en Inde, au Sri Lanka, en Chine… et à boire les thés locaux. Elle laisse tomber son job d’éducatrice. « J’ai voulu faire découvrir la beauté, la diversité des plantes que je goûtais au gré des rencontres », explique-t-elle.

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« Avec le changement climatique, il y a une spéculation de fous »

Le thé : la boisson la plus bue au monde après l’eau. Pas trop en France, qui carbure au café. « La plupart des Français pensent qu’il n’y a qu’une sorte de thé vert, par exemple. En fait, il y en a des centaines! » s’émerveille-t-elle encore, après 19 ans d’infusion dans le milieu. Elle va en Amérique du Sud et en Afrique du Sud, en ramène maté, lapacho et rooibos. Quid des plantes européennes – mélisse, camomille, verveine et compagnie ? Elle en trimballe d’Europe. Tout est certifié bio par Ecocert. Une exception: le lapacho, non certifiable car issu de la cueillette sauvage. Toutes ces plantes, la cheffe d’entreprise les garde pures, ou les mélange avec épices, arômes naturels ou huiles essentielles, fruits secs, fleurs. « Les mélanges, c’est pour le fun, c’est comme la cuisine ! » lance-t-elle.

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D’ailleurs, c’est entre sa bouilloire et sa gazinière qu’Arlette Rohmer a démarré son affaire. « Je n’avais rien. Je préparais mes mélanges dans ma cuisine et allais les vendre sur les salons. Pour mon premier d’ailleurs, j’ai dû faire les vendanges ! » C’est cette ténacité qui fait qu’aujourd’hui, 56 personnes travaillent avec elle à Wittisheim. Ces salariés reçoivent les plantes séchées, mélangent, ensachent et expédient. Dans tous les magasins bio et épiceries fines d’Europe, mais aussi au Japon, au Brésil, au Canada, à Hong-Kong, les « jardins d’Arlette » commercialisent plus de 500 sortes de thés et tisanes (purs ou mélangés). Résultat : 8 millions d’euros de chiffre d’affaires et 130 projets, dont des partenariats avec des collectivités locales hexagonales. « Nous voulons diffuser nos produits auprès des élus, dans les écoles, les entreprises », annonce-t-elle. Les Jardins sont aussi partenaires d’associations comme Kokopelli, les Amanins (la ferme pédagogique initiée par les Colibris) et la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux), pour lesquels ils ont créé des thés aux noms poétiques – tel Oiseau-lune, qui fait référence au courlis cendré, vulnérable en Alsace – dont 0,5 à 1 euro du prix d’achat est reversé à l’asso. Une volonté de croître éternellement ? « Non, se défend la fondatrice, le but n’est pas de grossir toute seule, mais avec les producteurs, s’ils veulent faire du bio et de l’équitable », explique Arlette. En espérant que le changement climatique ne bouleverse pas tous ses plans, risque dont elle a conscience. « Les conditions climatiques font qu’on arrive parfois à – 30 % de production de thé ou de plantes comme le citron, la vanille, des fleurs… Il y a alors une spéculation de fou ! Ca, ça n’arrivait pas il y a 20 ans », assure-t-elle.

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« Il faut se déplacer pour voir la beauté »

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Si les Jardins travaillent avec une dizaine de grosses plantations de thés (plusieurs centaines d’hectares peu riches en biodiversité même si elles sont bio, reconnaît Arlette), environ 30 coopératives de petits producteurs les fournissent aussi. Le thé y est cultivé et séché sur des parcelles de moins d’un hectare, par des familles de paysans qui ne dépendent pas uniquement de l’exportation pour vivre: ils cultivent légumes, fruits, épices… 32 % des références des Jardins de Gaïa sont issues du travail de tels petits producteurs. Par ailleurs, cette année, environ 17 000 paysans travaillent avec eux selon les critères du commerce équitable. Résultat : la moitié des références des Jardins de Gaïa sont certifiées Fairtrade Max Havelaar. Arlette Rohmer ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Elle dit vouloir développer ces partenariats (petits producteurs et commerce équitable). Son but : « faire découvrir des produits beaux, bons pour le corps et bons pour l’esprit ». D’où la maison de thé, qui invite le grand public à y goûter.

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A la maison de thé, les visiteurs font des rencontres inattendues. « Une couleuvre à collier vient parfois nous rendre visite… Ne vous effrayez pas, elle est inoffensive », nous précise un panneau donnant sur un bassin extérieur où se déverse la cascade. Des grenouilles coassent. Construite en 2004, la maison de thé accueille particuliers, écoles, vendeurs en quête de formation, etc. tout au long de l’année. Murs de chaux et toit en paille et végétalisé, peinture écolo, meubles en bambou et en rotin, sol en terracotta, ikebana (art floral japonais) … Pas de panneaux solaires – on se fournit au gaz – ni d’éolienne, mais tant pis : l’ensemble dégage un sentiment d’harmonie. Sympa pour déguster du thé ou méditer. Le thé, justement, on l’achète dans la boutique ou au salon de thé. Ou bien on le déguste selon l’art de la cérémonie du thé, dans une pièce avec coussins, encens et panneaux coulissants, avec une salariée japonaise dédiée. « En France, il n’y a rien d’équivalent à la sommellerie pour le thé. Il nous faudrait des écoles de thé, comme en Chine », soupire Arlette. De la terrasse, en marchant, on peut voir le jardin zen dont s’occupent 2 jardiniers – « l’un s’inspire de l’anthroposophie », précise Arlette, ce courant de pensée qui a inspiré la biodynamie. « Au Japon, on ne voit jamais la beauté d’un seul endroit, il faut se déplacer pour la voir », souligne Arlette avec un clin d’oeil.

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De la beauté, la nature devrait en remettre une couche dans les mois à venir : la maison de thé devrait bientôt devenir refuge LPO, avec plantation de haies et pose de nichoirs. Pas de prairie dédiée au courlis cendré, tout de même. Mais peut-être une chance de déguster son thé avec d’autres oiseaux, en compagnie de la couleuvre et des grenouilles.

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