La nature a-t-elle besoin de nous * ?

Préférant assister la nature, l’homme se pose de plus en plus comme indispensable à sa survie alors qu’elle a longtemps évolué sans lui, en dépit des périodes glaciaires, des évènements tectoniques et des météorites. En maternant ou en « domestiquant » la faune sauvage, ne sommes-nous pas en train de la fragiliser et de légitimer la destruction de tout ce ne nous semble pas utile ?

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par Christian Weiss

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Avec les nichoirs pour les oiseaux installés tous azimuts, les boules de graisse et autres mangeoires à graines approvisionnées douze mois sur douze, voici que l’on propose aux insectes pollinisateurs des « hôtels » … À quand des charters pour escorter les oiseaux migrateurs, des gîtes trois étoiles pour les loutres et des moufles pour les marmottes ? Accoutumer la faune sauvage à être assistée faute de ressources et pour notre bon plaisir revient à asservir un peu plus la nature en nourrissant et en logeant artificiellement des espèces que nous allons rendre dépendantes de nous.
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Cessons de « disneyiser » la nature en voulant à tout prix la chérir et la caresser ! À force d’incontinence affective orientée vers les animaux, faute d’humanité envers notre voisin, nous n’aurons bientôt plus aucun plumage, aucune fourrure ni aucune élytre à caresser ni à chérir. Quand ces penchants anthropiques prendront fin, il ne restera plus à nos assistés qu’à disparaître, faute de défenses naturelles, d’expérience et de transmission de leurs acquis immémoriaux à leur progéniture.

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Plutôt que de continuer à détruire et à exploiter jusqu’à la roche mère ou aux rémanents forestiers les milieux où nous sommes invités à vivre parmi d’autres espèces, apprenons à respecter et à laisser tranquilles les lambeaux de nature sauvage que nous jugeons « sale », « épineuse », crottée », « pourrissante », « mouvante », « sénescente », « vaseuse », « vermoulue », « moisissante » qui abritent à notre insu nombre d’insectes, de mollusques, d’amphibiens, d’oiseaux, de petits mammifères et où chacun d’eux trouve naturellement sa niche pour s’abriter, se nourrir et se reproduire. Protéger, c’est la plupart du temps, avec de bonnes intentions, pratiquer un apartheid et détruire des associations floristiques et faunistiques dont nous n’avons encore que peu de connaissances.

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À titre d’indice de ces fausses bonnes intentions vis-à-vis de la faune sauvage, une étude récente de l’ONIRIS ** met en garde contre le nourrissage intensif des passereaux, une action qui favorise très probablement la transmission de virus comme la poxvirose des mésanges charbonnières fréquentant les mangeoires et abreuvoirs – à terme, à 80 % mortelle dans ses suites. De même, les nichoirs, bien plus repérables qu’un nid, sont une aubaine pour les prédateurs des oiseaux. Mêmes choses pour les concentrations d’abris à insectes, véritables « supermarchés » pour ceux qui s’en nourrissent et qui apprendront vite à en tirer profit.

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La relation élémentaire de l’homme à la nature est tellement brouillée que la conscience que nous en avons devient de plus en plus confuse. Chacun intègre le fait que c’est l’industrie qui nous fait vivre, oubliant ce qui fait vivre l’industrie : les ressources naturelles au sein des biotopes. Poursuivons leurs saccages et nous disparaîtrons. C’est bien nous qui avons besoin de la nature et de l’ensemble des espèces sauvages.

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* Inspiré librement d’Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables, éd. GF Flammarion.

 

** ONIRIS École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation Nantes Atlantique.

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Ce point de vue est paru récemment dans la revue Liaison IDF.

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