Les Parcs Nationaux et l’Etat

Administrateur de la Société Nationale de Protection de la Nature et de FERUS, Vice-présidente de France Ecologie, et membre des JNE, Lauriane d’Este dénonce l’actuelle politique des parcs nationaux et appelle Delphine Batho, ministre de l’Ecologie, à « renationaliser » d’urgence ces territoires.

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par Lauriane d’Este
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Nous avions été un certain nombre d’ONG, défenseurs de la Nature, à nous être élevés contre le projet Giran de réforme des Parcs Nationaux, réforme qui a abouti à la loi de 2006. Nous avions dû lutter, en vain, contre l’avidité des élus locaux désireux de s’attribuer un rôle décisionnel dans une gestion qui les dérangeait parce qu’elle leur échappait. La nature était leur chose, pas la nôtre, pas davantage celle du citoyen.

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L’arrogance méprisante du député Giran, auteur du projet, devant nos remarques en témoignait. Les élus sont entrés en nombre et en force dans les conseils d’administration et en ont perverti les règles de bonne gestion. Ils voyaient là un levier et un enjeu de pouvoir face à leurs électeurs et aux lobbies locaux parmi lesquels le plus puissant, celui des chasseurs. qui aujourd’hui s’auto-proclame protecteur et gestionnaire de la nature alors qu’il n’en est que le seul vrai prédateur : tuer n’a jamais été l’acmé de protection.

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Ce que nous avions craint alors se manifeste clairement aujourd’hui. La collusion du monde de l’élevage et celui de la chasse – souvent le même – met grandement en danger ce qui reste en France de nature : les Parcs Nationaux et les réserves naturelles. Ils appliquent à la lettre, sans le savoir, la doctrine obsolète de Descartes qui prétendait que l’on devait se rendre « maître et possesseur de la nature » : c’était au XVIIe siècle !

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Les esprits rétrogrades que nous dénonçons n’ont guère progressé depuis lors. Des exemples, en voici. C’est le Président et le Directeur du Parc des Cévennes qui demandent au nom du conseil d’administration d’un établissement public » que le Parc soit reconnu comme zone d’exclusion pour le loup » et réclament des « tirs de défense dans la zone cœur où ils ne sont pas autorisés ». Les bras nous en tombent !

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Faut-il rappeler à ces messieurs que le loup appartient à une espèce protégée par la Convention de Berne et par la Directive Habitats et que les cœurs de parcs sont des sanctuaires de la nature où seule la recherche a accès et qui sont en effet un lieu de survie pour les espèces protégées. Les propos tenus par ailleurs par le directeur du parc qui demande la révision de la législation actuelle sur le loup font bondir, venant du responsable d’un organisme public qui doit faire appliquer la loi. Nous demandons la démission de ce directeur qui n’a pas sa place là où il est car il ne fait pas le travail pour lequel il est rémunéré. Nous demandons aussi le déclassement du Parc des Cévennes qui n’a de Parc National que le nom car on peut y chasser en toute légitimité et y avoir toute sorte d’activités contraires à la protection de la nature.

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Autre exemple : en Camargue, les chasseurs ont eu le front de porter plainte contre la réserve naturelle intégrale de la Capelière sous prétexte que des sangliers s’y réfugiaient en toute impunité, échappant ainsi à leurs tableaux de chasse. Pourtant, le gibier abonde car ‘agrainage que les chasseurs continuent à distribuer deux fois par an et la fabrique de cochongliers qu’ils ont mis au point depuis des années a provoqué l’explosion de l’espèce, un phénomène dont ils sont entièrement responsables. A quoi sert une Réserve intégrale si elle ne permet pas la présence d’animaux sauvages ?

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Et je ne parle pas du Mercantour où les communes louent depuis des lustres leurs terres à des éleveurs qui y pâturent toute l’année avec leurs moutons, entraînant ainsi, par le surpâturage, l’érosion des sols et leur lente désertification. Là aussi, le loup n’est pas le bienvenu, il est devenu le bouc émissaire d’une filière déficitaire, entièrement supportée par les citoyens. La protection des troupeaux n’est pas toujours effective, loin de là ! Et l’on tire des loups, toujours plus, avec des armes létales, n’importe qui, n’importe quand avec la bénédiction de l’Etat à travers ses préfets.

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A ce sinistre tableau de chasse, il faut ajouter le braconnage devenu un sport national et jusqu’ici la plupart du temps impuni. Or on sait que l’espèce reste fragile. Peut-on encore parler dans ce pays parler de protection de la nature? De toute évidence non.

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Et nous touchons là au fond du problème. Les Parcs Nationaux français ne sont pas de vrais parcs nationaux, ils n’en arborent que le nom et le Parc des Cévennes en pousse la caricature à l’extrême. Comme le demande Raymond Faure de la FRAPNA Rhône dans un texte auquel je m’associe pleinement, il faut les nationaliser. C’est-à-dire faire en sorte que l’Etat ait la maîtrise foncière du territoire, comme c’est le cas partout ailleurs et notamment dans les pays anglo-saxons où la protection de la nature est une réalité et non une triste pantomime où chasseurs, éleveurs et élus achetés se livrent à une sinistre surenchère pour savoir qui tuera le mieux, le plus vite et surtout que la nature « ferme sa gueule » car elle n’a pas son mot à dire. Non, elle ne vote pas. Mais nous si.

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Le 16 novembre, les personnels des Parcs Nationaux étaient en grève pour alerter leur ministre de tutelle – vous Madame Batho – sur leur manque de moyens, y voyant un désengagement progressif de l’Etat. Oui, c’est bien de cela dont il s’agit. Une fuite devant les responsabilités, un déni des enjeux, une lâcheté devant le harcèlement de lobbies sans vergogne. Un peu de courage, madame Batho, vous qui n’hésitez pas avec votre gouvernement à exproprier sans état d’âme d’honnêtes citoyens à Notre-Dame-des-Landes, toujours au détriment de la nature sauvage – en l’occurrence de zones humides essentielles à la respiration de la planète, nationalisez enfin les Parcs Nationaux. Parlez moins de stratégie pour la biodiversité, mais mettez-la en oeuvre. Boutez hors de la limite des Parcs tous ceux qui n’ont rien à faire de la conservation de la Nature et pour lesquels elle n’est qu’une denrée, une marchandise comme une autre sur laquelle ils exercent une prédation no limit. Les générations futures vous en sauront gré.

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