A Rio, il n’est plus question de nature, de destruction ou de pollution, mais d’économie

A quelques heures de l’ouverture officielle, mercredi 20 juin 2012, de la conférence Rio+20 sur le développement durable et alors que la ministre de l’écologie explique dès son arrivée au Brésil que l’élaboration des textes à adopter est bloquée, force est de constater que cette rencontre mondiale n’est plus pour le moment qu’un sommet économique dont les Etats et le privé se disputent les crédits potentiels. Le point de rencontre et d’influence des représentants des industriels et des multinationales qui font pression pour que la croissance verte ou que l’économie de la même couleur restent la colonne vertébrale des décisions prises.

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par Claude-Marie Vadrot

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Une rivière hautement polluée près de la conférence de Rio. Jamais les délégués et les militants n’ont remarqué cette rivière qui pue et empoisonne des centaines de Brésiliens à quelques centaines de mètres de la conférence - photo CM Vadrot

On peut aussi bien s’en rendre compte dans le piteux pavillon de la France, dont la seule décoration est fournie par les logos des sponsors, que dans les discussions confidentielles que les groupes industriels mènent avec les représentants des Etats. Pour les convaincre de créer le nouveau et prometteur « marché vert » dont rêvent les multinationales. Le problème n’est plus de sauvegarder ou de protéger la planète, mais de réparer les dégâts du progrès, quitte à permettre de poursuivre sa destruction. Les milieux d’affaires ont fait pression pour que ce chapitre, dont le Brésil et des pays émergents se méfiaient, ne soit pas supprimé. Ce fut notamment l’enjeu de la réunion d’urgence convoquée dans la nuit de lundi à mardi par le ministre des affaires étrangères brésilien, l’idée étant de terminer la conférence…avant qu’elle ne soit commencée et qu’arrivent les 130 chefs d’Etat et de gouvernement prévus au programme. Le forcing économique doit réussir…

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Vingt ans après l’adoption à Rio d’une Convention sur la biodiversité, le mot et la chose ont disparu des discussions : le mot nature est devenu un gros mot que nul ne s’aventure à prononcer. Place aux affaires ! Pas question de faire le moindre bilan sur le destin de cette Convention comme sur la réalisation et les efficacités des décisions des conférences précédentes. Exit les pollutions, l’épuisement des ressources naturelles, l’extinction des espèces, la trop lente montée de l’utilisation des énergies renouvelables, la déforestation de l’Amazone ou de l’Indonésie.

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Samedi 16 juin, l’amphithéâtre central du Sommet des peuples a d’ailleurs résonné des imprécations de tous les Brésiliens, appuyés par d’autres Latino-Américains, qui veulent protester contre la mise en coupe réglée du massif amazonien par le biais du nouveau code forestier et veulent « sauver le poumon de la planète, notre poumon, notre espoir de vie, l’espoir d’enrayer la dégradation de la nature ». Des milliers de militants se sont inquiétés pour l’avenir des 5, 5 millions de kilomètres carrés d’une forêt qui a perdu l’équivalent de la superficie de la France au cours des dix dernières années : plus de 550 000 kilomètres carrés.

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Une forêt dont un peu plus de 60% appartiennent au Brésil, mais qui s’étend également au Pérou (15 %), en Equateur, en Colombie, au Vénézuela et en Guyane. Immensité transnationale qui explique la présence de nombreux représentants de ces pays à une réunion qui a vigoureusement condamné la politique forestière et écologique de la présidente brésilienne et de son parti. Avec de nombreux appels à ne plus jamais voter pour elle et les formations politiques qui la soutiennent plus ou moins et surtout quand il s’agit « d’exploiter les ressources naturelles » ou de construire de nouveaux barrages rebaptisés, question de mode et de « nov’langue » économico-sociale, « réaménagement de bassins fluviaux et des systèmes écologiques ».

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Les intervenants ont souligné, de façon souvent incantatoire, ovationnés par des milliers de personnes, la nécessité de sauver toutes les espèces vivantes et pas seulement l’espèce humaine « qui ne régnerait plus, peut-être avant de disparaître, que sur une planète simplifiée et désertés par les autres formes de vie. Nous devons avoir en mémoire que la disparitions des arbres, des plantes, des mammifères, des oiseaux et de la microfaune ou des insectes n’est pas un luxe, mais un rempart contre l’appauvrissement des hommes, à commencer bien sûr par les Peuples Premiers, mais également ceux qui sont les plus démunis. La guerre organisée contre la forêt est une guerre menée contre tous les hommes. Nous devons donc nous y opposer ».

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Un thème qui a rebondi au Brésil grâce à la tenue de la conférence Rio+20, mais qui est essentiellement porté par les citadins, beaucoup de ruraux restant attachés aux projets de déforestation en raison des perspectives, souvent illusoires, d’emplois. Ce qui peut d’autant plus se comprendre que de nombreux élus ruraux s’affirment en faveur du nouveau code forestier, même amputé : à la fois également pour réduire le chômage, mais aussi parce que tous les projets qui tournent autour de la déforestation, de l’aménagement de la forêt et des nouvelles extractions sont souvent liés à la corruption qui affecte une part de ses élus et une autre part des administrations locales ou régionales.

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Mais toutes ces questions de la destruction de la planète ne sont plus vraiment, au Brésil ou ailleurs, à l’ordre du jour. Combien de délégués officiels s’apercevront qu’à 300 mètres du mur d’enceinte du centre de conférence, coule une rivière extrêmement polluée au bord de laquelle vivent et pêchent des centaines de Brésiliens. Il est vrai qu’en raison des vents dominants l’épouvantable odeur qui se dégage de ce marigot flotte rarement vers les conférenciers penchés sur leurs virgules et leurs parenthèses.

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Cet article a été publié sur le Blog Rio+20 de Politis.

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