Épandages de pesticides : un maire remet la protection des populations au coeur des débats

Le tribunal administratif de Rennes n’aura mis que quatre jours, week-end compris, pour rendre sa décision, en dépit des centaines de pages de mémoires transmises par le maire de Langouët, petite commune d’Ille-et-Vilaine, et ses avocats.

Daniel Cueff, maire de Langouët (Ille-et-Vilaine)

Donnant raison à la préfète de Bretagne, le juge des référés a estimé le 27 août que Daniel Cueff n’était pas compétent pour instaurer, par voie d’arrêté, une distance minimale d’épandage de pesticides de synthèse par rapport aux habitations de sa commune, dont certaines sont dispersées au milieu des champs. Il ne peut donc, selon le juge, prétendre se substituer à ce qu’il considère comme une carence de l’Etat à protéger ses citoyens des effets sanitaires néfastes de ces produits, y compris provisoirement.

Le 18 mai dernier, ce maire de 64 ans, écologiste sans étiquette, avait pris un arrêté interdisant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques « à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel ». Invoquant le principe de précaution, il rappelait notamment que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), l’agence spécialisée de l’OMS pour la recherche sur le cancer, a considéré en 2015 que le glyphosate, herbicide le plus vendu au monde, était « probablement cancérigène ».

L’agence estimait en particulier qu’il existe des preuves démontrant une association entre l’exposition au glyphosate et le développement de cancers tels que le lymphome non hodgkinien et le cancer du poumon.

Lors de l’audience du 22 août au tribunal administratif, Daniel Cueff, dont l’arrêté était attaqué par la préfecture de Bretagne, a souligné qu’une directive européenne obligeait depuis 2009 les États à protéger leurs habitants de l’épandage de pesticides, et que le Conseil d’État avait partiellement annulé en juin un arrêté réglementant l’utilisation de pesticides au motif qu’il ne protégeait pas suffisamment la santé des riverains.

Ex-conseiller régional de Bretagne, M. Cueff a été élu il y a 20 ans à la tête de Langouët, un village de 602 habitants souvent cité en exemple pour ses réalisations « vertes »: cantine 100 % bio et locale dès 2004, deux éco-hameaux déjà construits et deux autres dans les tuyaux, arrêt du désherbage chimique municipal dès 1999, nouvelle politique d’urbanisme pensée sur le principe de l’économie circulaire, projet de ferme municipale en permaculture, véhicules électriques partagés, service public d’autoproduction d’énergie renouvelable, etc.

Alors quand des habitants, membres du collectif local Nous voulons des coquelicots lui disent avoir retrouvé des taux de glyphosate importants dans leurs urines, jusqu’à 30 fois la valeur autorisée dans l’eau potable chez des enfants de 6 ans, il se dit qu’il faut agir.

« Les résultats de ces tests, réalisés sous contrôle d’huissier tels un véritable contrôle anti-dopage, ont été un véritable choc dans la commune », explique l’élu. Et ce même s’il n’existe pas de valeur de référence officielle pour interpréter ces données, comme l’a rappelé le représentant de l’Etat lors de l’audience.

Interrogé deux jours après la décision du tribunal, Daniel Cueff, qui va faire appel, s’est dit « un peu déçu par la décision », lui qui s’attendait à ce que la justice « puisse regarder un peu plus en profondeur cette affaire ».

« Que de temps perdu, le tribunal administratif n’a pris le soin d’étudier aucun de mes arguments, on suspend on juge plus tard ce n’est pas sérieux. J’en veux beaucoup à la préfète qui a empêché mon arrêté de vivre alors que le gouvernement annonce que j’ai bien raison et que la question d’une zone tampon va faire l’objet de discussions », confie-t-il.

Se défendant de vouloir interdire complètement les pesticides sur sa commune, ce que le Mouvement des coquelicots lancé il y a un an appelle de ses voeux, ou de vouloir mettre en difficulté les agriculteurs, il souhaitait plutôt « mettre en place une expérimentation en réfléchissant avec les agriculteurs à d’autres manières de cultiver à l’intérieur de cette bande de 150 mètres ».

Débouté sur le plan judiciaire, le maire peut toutefois se féliciter d’avoir réussi à porter de nouveau le débat sur la place publique, depuis l’appel du mouvement Nous voulons des coquelicots, qui a déjà recueilli plus de 800.000 signatures.

De fait, plus d’une trentaine de maires ont pris des arrêtés similaires au sien, autant d’initiatives que Daniel Cueff souhaite fédérer avant de « monter tous ensemble à Paris ».

La convocation devant la justice administrative de l’élu breton a par ailleurs suscité des milliers de réactions de soutien, deux pétitions qui ont rassemblé plus de 160.000 signatures, ainsi que des prises de position au plus haut niveau. Le 23 août, Emmanuel Macron déclarait ainsi « soutenir dans ses intentions » le maire de Langouët et promettait d’aller « vers un encadrement des zones d’épandage de pesticides » tout en ajoutant qu’il ne « pouvait être d’accord quand on ne respecte pas la loi ».

La ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne a affirmé de son côté qu’un projet de réglementation était à l’étude pour instaurer une « zone minimale entre les épandages et les habitations ».

Du côté des agriculteurs, la présidente de la FNSEA Christiane Lambert a elle plaidé le 28 août pour des solutions « au cas par cas » pour protéger les riverains plutôt qu’une délimitation stricte par la loi qui conduirait selon elle à « des pertes de revenus ». Selon la représentante du principal syndicat agricole, un monde « sans phyto », comme un monde « sans médicaments », est impossible, et une généralisation par la loi d’une interdiction aurait pour effet « d’ensauvager 15 % du territoire français ».

Le ministre de l’Agriculture Didier Guillaume et son cabinet ont indiqué le 29 août que l’objectif était d’arriver à la publication d’un arrêté national début janvier afin de répondre aux exigences du Conseil d’Etat.

Pour y parvenir, le gouvernement va mettre en place des « chartes départementales dans lesquelles les riverains, les agriculteurs, les élus, sous l’autorité du préfet, doivent se mettre d’accord pour les zones d’épandage ». « S’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord, alors nous mettrons en place ce qu’on appelle des zones de non traitement », a précisé Didier Guillaume. Son cabinet a évoqué des zones de non traitement obligatoires comprises entre 1 et 5 mètres autour des bâtiments, assorties toutefois de dérogations. Ces zones seront agrandies autour de zones sensibles comme les écoles, mais là encore il pourrait y avoir des dérogations.

« Il faudra regarder cela de très près car il existe déjà des chartes de bon voisinage entre agriculteurs et riverains qui tiennent simplement au bon vouloir des agriculteurs et n’ont aucun aspect réglementaire », a réagi Daniel Cueff. « Cette politique de bon vouloir est en général un échec dans la mesure où depuis 2009, l’usage des pesticides de synthèse a augmenté de 17 % à 20 % selon les régions alors que l’objectif était une baisse de 50 % », a-t-il ajouté, rappelant que même les « procédés anti-dérive ne permettent pas d’empêcher, notamment par temps chaud, les molécules de se répandre dans l’atmosphère ».

Si l’élu breton n’est toutefois pas défavorable, lui aussi, à du cas par cas « en fonction des cultures et des régions », la définition des distances d’éloignement pourrait rapidement devenir une armoire à gaz, sans compter que les premiers chiffres de taille de ces zones de « non traitement » évoqués en haut lieu sont pour l’instant 30 fois inférieurs aux 150 mètres de l’arrêté de Langouët.