Vers l’industrialisation des forêts

Comment est-on passé de la multifonctionnalité des forêts à la fonction économique qui prime sur tout le reste ?
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par Jean-Claude Génot
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Avec le bois énergie, les arbres deviennent une masse de bois – photo JC Génot

Il y a d’abord eu le Grenelle de l’environnement (une Berézina pour la forêt) avec le fameux slogan schizophrénique « produire plus de bois tout en préservant mieux la biodiversité forestière, dans une démarche territoriale concertée et dans le respect de la gestion multifonctionnelle des forêts ». Seul le « produire plus de bois » a été appliqué à la lettre, sur la base de chiffres d’accroissements annuels de la forêt française fantaisistes, surestimés de 20 % ! Tout ce qui se passe en forêt publique a été clairement annoncé dans un document de l’ONF de 2010 (1). On y trouve les vieux concepts productivistes repeints à la bonne couleur comme la croissance verte ou la décapitalisation raisonnée. On y avoue que le produire plus signifiera plus de routes en montagne et évidemment une baisse de l’âge d’exploitabilité. Mais c’est pour le bien de tous puisque cela permet de rajeunir des forêts vieillissantes et dangereuses. Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage… N’allez surtout pas croire qu’on exploitera partout, puisqu’il y aura 1 % dédié à l’écologie (îlots de sénescence et réserves intégrales) contre 99 % à l’économie, un choix vraiment équitable.

Le bois énergie conduit à exporter toute la matière organique de la forêt – photo JC Génot

Si l’on veut vraiment savoir à quelle sauce les forêts françaises vont être mangées, il faut lire le Programme national de la forêt et du bois 2016-2026 (PNFB). Le premier objectif « Créer de la valeur dans le cadre de la croissance verte, en gérant durablement la ressource disponible en France, pour la transition bas carbone », est un modèle de novlangue où il faut comprendre que couper plus de bois est une nécessité écologique. L’esprit de ce programme est résumé dans l’objectif « Développer des synergies entre forêt et industrie », avec un sous-objectif  « Adapter les sylvicultures pour mieux répondre aux besoins des marchés ». On ne peut être plus clair quant à la vision purement industrielle de la forêt. Nul doute que les « marchés » voient la forêt plutôt comme un champ d’arbres calibrés exploités par des machines que comme un écosystème fragile qui mérite une gestion proche de la nature. La sylviculture qui répond aux besoins des marchés est qualifiée de « dynamique » (terme qui fait jeune et moderne), qu’il faut traduire par intensive en prélèvements. On veut des forêts plus claires donc, avec moins d’arbres pour qu’ils croissent en diamètre plutôt qu’en hauteur afin de mieux résister aux tempêtes et pour qu’il y ait moins de concurrence pour l’eau au niveau des racines. Un schéma parfait, un modèle unique pour toutes les forêts publiques françaises imaginé par les ingénieurs de la foresterie. Mais beaucoup de forestiers vous le diront, sans ambiance forestière la forêt n’est plus elle-même. Que se passe-t-il au niveau du sol dans ces espaces sans arbres en termes d’évapotranspiration sous le soleil brûlant de l’été ou face à des vents desséchants ? Une thèse soutenue (2) à l’université de Rouen en 2016 a montré qu’en cas de fortes éclaircies, l’abondance des détritivores (diplopodes, acariens, et collemboles) diminue, ce qui réduit la décomposition de la litière et le recyclage des nutriments. Et comment admettre que l’on fasse des éclaircies fortes dans la hêtraie dont le fonctionnement naturel, pour cette espèce d’ombre, est justement de faire croître lentement les jeunes semis sous l’ombrage des adultes. Cette croissance lente permettant une plus forte longévité et des cellules plus petites qui contiennent moins d’air, rendant l’arbre plus souple pour résister aux vents violents. Qui plus est, la hêtraie est plus productive en poussant serrée car le hêtre est une espèce sociale et il existe une répartition optimale des ressources en nutriments et en eau grâce aux connexions entre les racines par compensation mutuelle (3). Coïncidence, cette sylviculture dynamique a pris son essor au moment où l’on a lancé le produire plus.

Cloisonnement dans une plantation de pins sylvestres : la forêt devient un champ d’arbres – photo R. Weissenbacher

Comme me l’a dit récemment un forestier public : « on tape pour faire du m3 ». Ce constat figurait clairement dans les slogans lors des manifestations des forestiers de l’ONF fin 2017 à Paris et en mai 2018 dans plusieurs villes françaises. Ce programme est tellement tourné vers l’économie qu’il a fait l’objet d’une critique de l’Autorité environnementale (Ae) (4). Concernant l’environnement, l’Ae « relève l’absence d’objectifs techniques concrets dans ce domaine, à tout le moins d’actions identifiées en ce sens ». L’Ae recommande aux auteurs du PNFB « de présenter les justifications environnementales du projet retenu », « de préciser la méthodologie suivie pour caractériser l’intensité des impacts positifs et négatifs au niveau des actions, et de caractériser les impacts des plantations de résineux et de peupliers préconisées » et enfin « de préciser le cadrage donné aux PRFB (5), notamment pour ce qui est des mesures en faveur de la biodiversité associées, et de l’argumentaire du ciblage des forêts où effectuer des prélèvements de bois supplémentaires ». On l’aura compris, l’Ae ne peut que constater l’absence totale de prise en compte d’un quelconque souci de la nature dans ce programme purement économique. Les productivistes ont bien travaillé et leur piège se referme sur les espoirs des opposants au modèle industriel de la forêt. Ainsi selon une étude de l’INRA (6), exploiter plus la forêt permettrait de mieux lutter contre le réchauffement climatique. Ce genre d’approche ne prend en compte aucune considération écologique globale sur l’état des forêts surexploitées mais envisage seulement la réduction des énergies fossiles au profit du bois. Les termes sont trompeurs et la cause climatique devient un cheval de Troie pour des politiques qui occultent les problèmes d’environnement (7). Ainsi utiliser le bois pour produire de l’électricité est totalement inefficace avec un rendement de 35 % (8).

Route forestière : Il faut de la place pour les camions et les machines – photo R. Weissenbacher

Avec une telle logique « énergétique », la forêt devient une usine à bois et un gisement de biomasse. Oubliées les bêtes et les plantes qui font sa complexité, méprisés les hommes qui veulent la protéger et la gérer autrement. Il y a bien sûr des réactions citoyennes un peu partout en France (Limousin, Morvan, Cévennes, etc.) pour s’opposer à cette vision productiviste et anti écologique des forêts. C’est pour les contrer que le Ministère de l’agriculture vient de publier un plan de communication qui a fait grand bruit (9). Son but a le mérite d’être clair : « l’objectif de communication du ministère doit être de prévenir les risques de protestation du public contre l’exploitation des forêts ». Ce rapport témoigne de l’arrogance des grands corps d’Etat pour qui les protestataires n’ont rien compris aux vertus de l’exploitation industrielle des forêts. C’est évidemment tout le contraire, les gens qui résistent à l’exploitation agronomique des forêts (coupes rases, plantations, cloisonnements, abatteuses, dessouchages, enrésinements, etc.) savent très bien pourquoi ils le font ! A quand des ZAD en forêt…

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1 ONF. 2010. La gestion durable des forêts publiques en forêt domaniale. Rapport. 26 p.

2 Henneron L. 2014. Impact de la densité des peuplements forestiers sur la biodiversité et le fonctionnement biologique de l’interface sol-végétation. Rev. For. Fr. LXVI : 605- 610.

3 Wohlleben P. 2017. La vie secrète des arbres. Les Arènes.

4 Conseil général de l’environnement et du développement durable. 2016. Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur le programme national de la forêt et du bois 2016-2026. Rapport. 31 p.

5 Programmes Régionaux de la Forêt et du Bois (déclinaisons régionales du PNFB)

6 Le Hir P. 2017. Faut-il exploiter davantage la forêt pour lutter contre le réchauffement climatique ? Le Monde 28 juin 2017

7 Sainteny G. 2015. Le climat qui cache la forêt. Comment la question climatique occulte les problèmes d’environnement. Editions rue de l’échiquier. 267 p.

8 Vidalou J-B. 2017. Etre forêts. Habiter des territoires en lutte. Zones. 197 p.

9 Bardon E et Deraix C. 2017. Plan de communication pour le secteur de la forêt et du bois. Ministère de l’agriculture et de l’alimentation. CGAAER. Rapport n°17050. 27 p.

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