Le label FSC version française : incitera-t-il à plus de qualité forestière ?

Le vendredi 16 mars au matin, à l’occasion de la Journée internationale de la forêt, une rencontre organisée par l’agence Shadow Communication a réuni l’association FSC-France, l’Agence des Espaces Verts d’Île-de-France, et quelques journalistes.

par Bernard Boisson

Sortie dans le Val-d’Oise, sur les buttes de Parisis, domaine boisé supervisé par l’Agence des Espaces Verts d’Ile-de France, le 16 mars 2018 – Photo Bernard Boisson

Cette rencontre a permis de faire plus ample connaissance avec ce label, plus spécialement dans son applicabilité récente aux forêts françaises. Outre un compte-rendu d’activités depuis l’implantation de FSC en France, l’intérêt de la rencontre a eu le mérite de se référer à un exemple concret, grâce à une sortie dans le Val-d’Oise, sur un domaine boisé supervisé par l’Agence des Espaces Verts d’Ile-de France nommé les buttes de Parisis. Ce boisement, essentiellement constitué de châtaigniers, dont une partie est issue d’une déprise agricole depuis la Seconde Guerre mondiale, a notamment reçu les deux labels forestiers : FSC et PEFC. Le site limitrophe d’agglomérations urbaines soulève la problématique de la fonction sociale dans l’édification du label FSC. Le déficit en connaissances de la forêt par le public est rapidement relevé par les professionnels de l’Agence des Espaces Verts. En effet, celui-ci ignore pour beaucoup les problématiques forestières ce qui motive les choix de tel mode de gestion. D’où une volonté d’impliquer davantage la prise de conscience civile (associations, élus, individus…) et de susciter plus encore la concertation. Cela rejoint le point de vue de FSC-France qui énonce que les communications et échanges avec les riverains de forêts, si elles peuvent avoir au départ un coût en temps professionnel, conduisent à une gestion forestière plus harmonieuse, s’avérant moins onéreuse dans la durée qu’une gestion devant un jour se rattraper sur des termes conflictuels ou des décisions déséquilibrées.

Sortie dans le Val-d’Oise, sur les buttes de Parisis, domaine boisé supervisé par l’Agence des Espaces Verts d’Ile-de France, le 16 mars 2018 – Photo Bernard Boisson

Au-delà de FSC, le manque de connaissances des citoyens sur leur forêt est une remarque particulièrement récurrente de la part des forestiers, des naturalistes, voire d’autres professionnels qui ont eux-mêmes à affronter l’ignorance de leur propre corporation, comme dans l’art, les médias, etc. Il faut bien dire qu’un livre comme La vie secrète des arbres, un best-seller étranger commercialisé en France à grands renforts de dopage médiatique, ne suffit pas à ouvrir toutes les fenêtres sur le sujet. Exemple sur le terrain : le bois mort laissé sur site. Un public ignorant croit à une forêt mal entretenue quand nombre de naturalistes et forestiers se sont depuis longtemps accordés pour convenir que le bois mort est le support d’au moins 30 % de la biodiversité spécifiquement forestière, lui conférant ainsi la nourriture et l’habitat ; donc un élément à préserver. A se rappeler par exemple un colloque interprofessionnel à Chambéry en 2004, Bois morts et arbres à cavité, entérinant tout particulièrement ces considérations. Cet évènement a notamment favorisé l’idée d’instaurer des « îlots de vieux bois » dans les forêts exploitées (bouquets d’arbres qu’on laisse vieillir bien au-delà de l’âge d’exploitation), ainsi que le maintien de certains arbres tombés.

Le label FSC (lire ici sa présentation) a pour mérite de prendre en compte les trois fonctions économique, écologique et sociale de la forêt. Ayant été initialement conçu pour préserver la qualité des forêts tropicales, il a notoirement intégré l’avis des peuples autochtones dans la gestion forestière pour des critères qui ne relèvent pas du seul marché mondial, ni des seuls argumentaires scientifico-naturalistes. Toutefois, les rapports humains/nature assimilés par des traditions qui ne sont pas les nôtres avec des cosmogonies différentes, ne pourraient s’inclurent semblablement dans une fonction sociale de la forêt en France. En comparaison, il manque une profondeur à la fonction sociale française, souvent réduite aux aspects récréatifs des boisements, et rapidement conduite à emprunter des argumentaires aux écologistes quand les riverains s’alarment ici ou là des coupes rases. Il manque encore une singularité des argumentaires de la fonction sociale en France. Concernant le bois de Parisis, nous constatons la volonté de préserver la mémoire patrimoniale du lieu ; à savoir d’anciens bassins ornementés de meulières où, au début du siècle précédent, un propriétaire fit remonter l’eau par un système de pompage. Aujourd’hui, le site est abandonné mais perdure à la faveur son importance écologique pour les des tritons et de sa touche romantique.

Le label FSC, la manière dont il est concerté

Il découle de ces premières observations que la valeur du label FSC en France ne pourra s’appuyer sur des contraintes normatives parachutées par une technocratie et ses experts professionnels, mais évoluera favorablement à partir d’une maturation interdisciplinaire des consciences entre les trois fonctions de la forêt : écologique, économique, et sociale ; mieux, à un stade prévalent aux décisions forestières. A ce titre, derrière le label FSC, nous avons trois chambres représentatives de ces trois fonctions. Elles sont vouées à se concerter pour accorder leurs argumentaires définissant le niveau de qualité du label. Tous les cinq ans, il y a une révision de celui-ci. Ce qui laisse à penser qu’il peut connaître sur la durée une évolution qualitative.

A noter que le label FSC est très souvent énoncé comme étant avant tout un « référentiel ». Il n’est ni définitif, ni standard, même s’il oblige à honorer ses engagements. Nous pourrions dire qu’il cherche en préambule à synthétiser le meilleur de ce qu’une maturité démocratique peut assurer pour le devenir de sa forêt. En fait, il dépend surtout du niveau de participation citoyenne et interprofessionnelle et de leur capacité à s’entendre, non point à coup de lobbying dans un rapport de forces, mais dans une justesse du tout prévalent sur l’intérêt exclusif des parties. Vu ainsi, le label FSC semble l’instrument le plus à portée de main pour relever le niveau de qualité de la gestion forestière en des temps de productivité de plus en plus intensifs. Notamment quand l’espérance de vie de l’arbre en sylviculture descend de plus en plus en dessous de l’espérance de vie humaine. Ce phénomène récemment amplifié peut en effet très nettement impacter les sentiments d’immersion du public en forêt ainsi que la valeur écologique des lieux. Ainsi le label FSC apparaît aujourd’hui l’un des recours pour retenir autant que possible la descente de l’âge en forêt quand, lors des élections présidentielles de 2017, nous avons pu déplorer la déconnexion forestière de quasiment tous les candidats et le déficit presque total de représentativité de la forêt dans les programmes de partis.

Dans la sénescence des arbres, il y a une tranche d’âge pouvant outrepasser très largement l’âge de l’exploitabilité. La question reste ouverte quant à la proportion d’arbres que nous laisserons dans cette tranche d’âge à travers les exploitations en comparaison de leur quota de présence dans des forêts naturelles. Aurons-nous dans les siècles futurs quelques arbres remarquables dans nos massifs forestiers ? Ce qui suppose au départ une proportion suffisante de postulants pour un nombre moindre de survivants en phase finale. La question subsiste d’autant que les règles de sécurité selon leur emplacement constituent dans nos mentalités et pour le droit une pression supérieure pour les faire disparaître à celle d’un soucis de préservation.

Quelques considérations pour la prospective du label

Si nous pouvons dire que les trois fonctions de la forêt constituent le trépieds du label FSC, reste à se demander si les trois axes d’argumentaires sont suffisamment égaux pour conférer une stabilité à l’ensemble ? A l’heure présente, la fonction sociale n’apparaît pas à maturité; une difficulté qui ne relève pas de l’ouverture d’esprit entendue dans la vocation du label. Sans doute les critères sociaux sont également plus difficiles à convertir en évaluations chiffrées pour donner un langage aboutissant à une efficacité. Toutefois, la fonction sociale devrait monter en puissance dans les années qui viennent ; surtout évoluer davantage vers une spéciation. Déjà, des prémisses actuels en présagent : la parution de plusieurs livres sur la sylvothérapie durant ce printemps 2018. Reste aussi tout le champ de l’écopsychologie forestière, moins focalisé sur l’arbre, et plus sur le milieu forestier en référence aux ambiances de forêts naturelles, ainsi que toutes formes d’approches contemplatives exprimées à travers les arts, la culture paysagère, etc. La création de l’association FSC-France est si jeune à l’échelle du temps forestier (2006 !) qu’il nous faudra un bon nombre de décennies avant d’apprécier visuellement l’effet du label FSC sur les forêts françaises. Si aujourd’hui certaines forêts sous couvert du label (comme en Bourgogne) présentent un faciès se rapprochant de ce qui est souhaité, c’est que déjà leur gestion détenait un caractère anticipateur.

On conçoit aisément que le label est plus facile à assimiler par des grands propriétaires forestiers publics ou privés, en raison du coût de l’audit. Mais le label se rend aussi accessible aux petits propriétaires disposant d’un agent commun pour les mutualiser. A noter que les formes d’exploitations les plus intensives ne sont pas exclues du label FSC (comme du label PEFC). Par contre elles sont encadrées, voire compensées.

Sur quoi s’appuie la force du label FSC ?

Ce qui manifestement est à même de constituer la force du label, c’est l’enthousiasme de ceux qui le portent, et la maturité des connaissances pouvant être mises en synergie dans l’interdisciplinarité pour optimiser l’évolution forestière dans l’harmonie des trois fonctions. Si quelques forêts naturelles de grande surface en France restent une légitimité pour des souhaits parallèles au label, il serait désirable de voir le référentiel FSC favoriser un meilleur étalement de la fréquentation des forêts. Notamment pour éviter la déprédation consécutive à la surfréquentation de quelques sites d’attrait, quand d’autres boisements avoisinants perdent leur valeur paysagère sous des formes plus intensives de sylviculture.

A remarquer : un cloisonnement des trois fonctions écologique, économique, et sociale de la forêt où chacune semblerait avoir une existence séparée des deux autres finirait par ressembler à une cartographie des rapports de forces entre des points de vue qui ne se sont pas mutuellement assimilés. A l’inverse, une gestion graduée des trois fonctions, s’interpénétrant les unes dans les autres reflèterait bien davantage une maturité collective de concertation, une fluidité d’arbitrage du gestionnaire, accompagné d’un professionnalisme forestier touchant sa complétude. Ce me semble là le meilleur possible sous les incitations du label FSC.

Garder une valeur patrimoniale des régions forestières supérieure au capital de bois sur pied, voilà au moins un critère qui devrait particulièrement retenir l’attention des Parcs naturels régionaux et de différentes instances dans les régions ; cela au nom de l’attractivité des contrées. A remarquer outre Rhin que les Länder s’avèrent beaucoup plus avancés dans l’adoption du label FSC. Puisse tout cela donner à méditer en France pour des décisions plus heureuses.

Ce qui transparaît comme le plus pertinent sous le label FSC, c’est l’idée que l’on ne peut rien faire de durablement viable sans une maturité collective dans la société pour le soutenir. Aussi, espérons que ce référentiel préservera la forêt et contribuera à faire face à toutes les incertitudes de l’économie et de la politique que nous risquons de traverser.

Observations actuelles en parallèle des intentions pour accroître la qualité des forêts

A Clamart (Hauts-de-Seine), le bois est utilisé en tant que contreforts pour un chantier d’immeuble – photo Bernard Boisson

Ce n’est pas parce que l’on exploite des matériaux étrangers à la forêt dans les constructions qu’on évite l’utilisation du bois. Ici le bois est utilisé en tant que contreforts pour un chantier d’immeuble à Clamart (Hauts-de-Seine). On a envie de comparer le volume de bois pour cet usage non pérenne à celui nécessaire pour un chalet quand le propriétaire précédent a cédé son ancienne maison à la démolition pour se faire construire en bout de terrain une maison dite  » écologique » ! Cela dans une ville de plus en plus devenue un parc immobilier au risque d’une densification congestionnant la circulation. Et que dire de l’envie des entreprises pour rester dans le « Grand Paris » si par la densification s’accroissent les dysfonctionnements dans les transports ?  Ces observations laissent penser que l’écologie n’a pas de pertinence si elle manque une générosité de l’intelligence envers toute vision globale.

Ce genre d’incohérence s’ajoute aux plaintes croissantes de Franciliens voyant des boisements menacés de disparaitre sous la pression intempestive des promoteurs, comme pour le bois Grignon près d’Orly. Autre sujet qui interpelle : le grignotage des forêts de banlieue pour accroître les voiries et voies de tramways… L’urbanisme deviendra-t-il un maillage de couloirs plus qu’un lieu de vie ?

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