Comment voyager de manière responsable à Cuba ?

Cuba, qui a inscrit l’écologie dans sa constitution, a créé des Parcs nationaux dans lesquels les visiteurs, par leur nombre restreint, ne nuisent pas à la protection des espèces végétales ou animales ayant justifié leur instauration.

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par Jean-Pierre Lamic

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Ecomobilité pour écotouristes à Cuba – photo Corinne Bazin

Ce pays possède bien des particularités propres et uniques, dues à son système politique particulier, avec pour principales conséquences :
– Une organisation étatique du secteur touristique, et
– Un système de double monnaie difficile à comprendre pour un étranger.
Comment dans ces conditions est-il possible de participer à une certaine redistribution des revenus touristiques vers les Cubains eux-mêmes ? Et faire en sorte que l’État ne perçoive pas la totalité des devises provenant du secteur ? Le tout en parfaite légalité au sein du pays.

Que se passe-t-il la plupart du temps, voire toujours ?

1er cas de figure : un opérateur de voyages achète un package touristique organisé par une agence cubaine.

Et ce, que le circuit se réclame d’un tourisme conventionnel ou d’« aventure ».

Les prestations sont alors toutes fournies par des structures étatiques, même, lorsque certaines nuitées s’effectuent dans des casas particulares (1) (une possibilité très récente, car il y a peu, seuls les voyageurs individuels y avaient accès).

2e cas de figure :  des personnes n’utilisant pas les services d’une agence louent un véhicule, réservent des hôtels, dorment en chambre d’hôte, mangent dans des restaurants d’État ou des paladars (2) (privés).

Considérant que :
Les deux seules compagnies de location de voitures (trois avec Gaviota) appartiennent à l’État;
Les hôtels sont soit propriété de l’État, soit des joint-ventures avec au moins 51 % des parts qui restent cubaines. Leur gestion est confiée à des chaînes hôtelières étatiques;
Les Maisons d’hôtes et paladars affichent leurs prix en devises ; c’est-à-dire qu’ils facturent leurs prestations à des tarifs environ dix fois supérieurs à ce que payerait un Cubain en monnaie nationale pour des repas et prestations identiques.

Ces maisons d’hôtes et paladars appartiennent à des personnes qui ont pu mettre leur demeure au niveau d’un confort exigé par la clientèle internationale, donc aux habitants les plus aisés.

Par conséquent, on voit bien que l’argent dépensé par les visiteurs arrive soit dans les caisses de l’État, soit dans les poches de la frange la plus riche des Cubains.

Alors direz-vous ; nous sommes bien loin des concepts régissant, ailleurs, la notion de tourisme responsable.

Oui et non, à la fois.

Non parce que l’État cubain réinvestit massivement cet argent dans ses services publics de haut niveau, améliore ses réseaux d’adduction d’eau potable et d’assainissement, a réorganisé ses centrales électriques, ses hôpitaux, la téléphonie mobile et Internet, dont l’ensemble profite aux habitants. Les transports publics sont en voie d’amélioration en dépit de manques encore importants.

Oui, parce que la plupart des Cubains ne profitent pas de la manne touristique par le fait qu’eux vivent majoritairement et principalement avec leur monnaie nationale et n’ont pas un accès direct aux devises dépensées par les touristes.

Et que donc, pour que l’argent de ceux-ci profite aux Cubains les plus modestes, il conviendrait que les étrangers achètent leurs fruits, cafés, et denrées de base, en pesos cubains, ce qui est tout à fait possible et légal, contrairement à une idée largement et faussement répandue par la presse touristique, guides de voyage en tête !

Voilà pourquoi voyager de manière responsable à Cuba n’est pas si simple, et est très peu développé.

Ce qui est certain, c’est qu’aucune agence de voyages de quelque sorte que ce soit, n’apporte une quelconque plus-value en matière de tourisme responsable…

Et que très peu de voyageurs font vivre directement des Cubains par leurs voyages, sauf à enrichir un peu plus les potentats locaux qui détiennent les maisons particulières et paladars

Cuba : centre d’écotourisme construit en 1960 – photo Jean-Pierre Lamic

L’exception – il en existe toujours – est représentée par les sites que l’État a confiés, pour leur gestion, à des communautés, dans des zones d’écotourisme reconnues, comme Las Terrazas ou la Caverne de Santo Tomas… Là, les populations locales en profitent réellement !

Voici encore un particularisme de Cuba : in fine, c’est l’État cubain lui-même, qui applique le mieux les principes de l’écotourisme !

Depuis 1994, le tourisme a été totalement réorganisé dans l’île, et si l’on parle généralement du tourisme de masse développé pour la survie du pays dans des zones restreintes et isolées3, on oublie de saluer le travail d’Ecotur.

Cette structure, en collaboration avec Gaviota, organise des séjours et visites dans les espaces protégés, nombreux dans tout le pays. Et ici, il n’existe pas de sur-fréquentations !

Tout est fait pour que le territoire ne reçoive pas plus de visiteurs qu’il ne peut en tolérer.

Cuba est en effet l’un des très rares pays au monde où la capacité de charge ou d’accueil d’un Parc national ne peut être dépassée, et où les constructions, intégrées au paysage, sont conçues pour ne pas recevoir un nombre de personnes supérieur à ce qui a été défini au préalable par des scientifiques.

Urubu à tête rouge – Cuba – photo Corinne Bazin

En résumé, Cuba, qui a inscrit l’écologie dans sa constitution, a créé des Parcs nationaux dans lesquels les visiteurs, par leur nombre restreint, ne nuisent pas à la protection des espèces végétales ou animales ayant justifié leur instauration.

Dans ces Parcs, des guides bien formés à l’écologie, et diplômés, œuvrent à l’information du public, dans un rôle de médiateur indispensable à la compréhension des espaces visités.

Il existe donc un écotourisme bien organisé à Cuba ! Il permet au voyageur curieux, prenant le temps de s’immerger dans l’île, de découvrir un environnement bien préservé, unique et original.

Ce n’est pas l’image qui est généralement donnée au tourisme dans ce pays !

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Jean-Pierre Lamic est l’auteur de Cuba 1988-2017 Voyages en immersion au cœur d’un Pays Controversé, paru aux Éditions Kalo Taxidi en août 2017.

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Note de Laurent Samuel, rédacteur en chef du site des JNE : selon Reporters sans Frontières, Cuba est « année après année le pire pays d’Amérique latine en matière de liberté de la presse. Le décès de Fidel Castro en 2016 n’a pas changé la donne : le régime castriste, au pouvoir depuis 1959, maintient un monopole quasi-total de l’information et ne tolère aucune voix indépendante. Arrestations et détentions abusives, menaces, campagnes de dénigrement, confiscation de matériel et fermeture de sites web sont les formes les plus courantes d’un harcèlement permanent, renforcé par un arsenal de lois restrictives ». voir http://rsf.org/fr/cuba

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(1) Maisons d’hôtes.

(2) Restaurants privés.

(3) Les Cayos sont des îlots déserts qui ont été reliés à l’île principale par des jetées artificielles, parfois longues de plusieurs dizaines de kilomètres.

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