Liga : l’énigme des filets visqueux

Sur les côtes basques, les pêcheurs s’inquiètent de remonter du liga dans leurs filets. Cette substance gluante obstrue les mailles et empêche le piège à poissons de fonctionner. La fédération de recherche MIRA, en collaboration avec l’Institut des milieux aquatiques de Bayonne, a lancé un programme de recherche pour tenter d’expliquer le phénomène.

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par Emilie Veyssié

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Affiche-des-rencontre-MIRA-du-8-avril_catcherVisqueux, urticant et colmatant les filets. Les pêcheurs ne manquent pas d’adjectifs pour décrire le liga, nom local qui caractérise un amas muqueux pouvant atteindre un mètre de diamètre et dérivant au large des côtes basques. Nicolas Susperregui, chargé de mission à l’Institut des milieux aquatiques de Bayonne, a présenté, lors des « Rencontres Scientifiques » en avril dernier à Capbreton (NDLR : qui étaient l’un des points marquants du voyage JNE/AJE/AJEC21 en Aquitaine), le programme de recherche porté par l’université de Pau et des Pays de l’Adour. Le MIRA (Milieux et Ressources Aquatiques) a pour tâche d’en apprendre un peu plus sur ce phénomène pourtant déjà connu. Découvert pour la première fois en mer Adriatique en 1729, il a aussi été recensé en mer de Tasmanie et au large de la Nouvelle Zélande, dans les années 1860. Aujourd’hui la substance gluante se retrouve de plus en plus dans les filets des pêcheurs.

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Agrégats muqueux
De son nom scientifique « mucilage marin », le liga, nom local, se forme dans des conditions climatiques et aquatiques particulières. L’ingrédient principal est généré par le plancton qui secrète du mucus en situation de stress. Pour se nourrir, il a en effet besoin d’un rapport azote et phosphate bien particulier. Or, depuis plusieurs années, ce dernier se modifie. Les chercheurs ne savent pas encore à quoi est dûe l’augmentation de l’azote dans les océans, mais ce qui est certain c’est que le plancton stoppe sa croissance à cause de cette perturbation. Stressé, il génère le mucus qui piège alors des micro-organismes : phytoplanctons, zooplanctons, virus, bactéries, vase, sels minéraux et micro-méduses se retrouvent coincés. Il suffit alors d’une période de beau temps et d’une mer calme pour que les eaux se stratifient : eau chaude en surface, eau froide en dessous. Conditions idéales pour que les agrégats muqueux s’accumulent et forment ce qu’on appelle un nuage pélagique de plusieurs mètres de diamètre qui affectionne particulièrement les zones où se mélangent eau douce et eau salée. Ce véritable petit écosystème mène sa propre existence et peut vivre longtemps. Il sera détruit au premier orage ou à la première tempête.

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Partenariat pêcheurs-chercheurs
Les pêcheurs ont été les premiers à alerter les chercheurs dans les années 2000. Présent ponctuellement à l’arrivée du printemps depuis la fin des années 1970 selon eux, le liga se fait plus abondant, plus fréquent et plus longtemps observable depuis une quinzaine d’années. L’Ifremer a réalisé des prélèvements en 2001. Sans suite. « Sûrement qu’à l’époque, le phénomène n’avait pas la même ampleur » explique Nicolas Susperregui. « En 2009, j’ai de nouveau été alerté par des pêcheurs. Nous avons réalisé une première étude en 2010 puis une seconde en 2011 et 2012 et le programme de recherche a enfin vu le jour en 2013. » Les chercheurs ont pu s’appuyer sur des pêcheurs volontaires et parfois même embarquer avec eux. « On remplissait des feuilles pour identifier où se trouvait le liga. L’étude n’aurait pas pu se faire sans les pêcheurs » affirme Patrick Lafargue, président du Comité régional des pêcheurs d’Aquitaine (lire son portrait en cliquant ici).

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En plus de la détérioration des conditions de travail des pêcheurs (manque à gagner, déplacements coûteux inutiles, perte de temps, etc.), le mucilage marin est piquant et provoque des démangeaisons dues aux micro-méduses présentes dans l’agrégat muqueux.

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Le changement climatique peut-il causer l’amplification du phénomène liga ? C’est ce que cherche à déterminer le MIRA dont les résultats seront publiés mi-juillet. En attendant, pour son directeur, Philippe Gaudin,« l’association de l’état de l’écosystème, à un endroit donné, et de la température de l’eau peut favoriser son apparition. Des changements dus à l’homme dans son utilisation du milieu naturel modifient aussi ce dernier. Le changement climatique n’est pas le seul responsable. Je préfère d’ailleurs parler de changement global ».

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Pour l’instant, il n’y a pas de moyen de s’en débarrasser. Les pêcheurs, eux, risquent de croiser encore longtemps la route de ces nuages marins et de remonter, à contrecœur, leurs filets visqueux.

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Cet article a d’abord été publié sur le site Global Magazine, qui nous a aimablement autorisé à le reproduire. Profitez-en pour découvrir cet excellent site !

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