BiObernai 2015 : pour comprendre le contexte de la guerre des semences

Le film La guerre des graines, projeté lors du Salon BiObernai 2015, auquel un groupe de journalistes des JNE a assisté (lire ici le compte-rendu de cette soirée par Roger Cans), est une enquête formidable sur ce sujet complexe. On y prend grand plaisir à écouter les intervenants et regarder de beaux champs de blés diversifiés. Je n’en dirai pas plus, car on peut le voir sur Internet ici. Mais Carine Mayo (présidente des JNE) m’ayant demandé de parler du contexte, voici quelques repères.

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par Marie-Paule Nougaret

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guerre-des-graines-640x360Dans les années 1920-30, deux initiatives ont changé le monde des semences. Les fermiers des Etats-Unis relèvent à peine de la famine du Dust Bowl  (saladier de poussière), sécheresse due aux labours et pâturages sur des surfaces immenses, sans conserver d’arbres pour retenir les sols.

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Le maïs, culture très fructueuse d’origine amérindienne, va se révéler encore plus productive, par la technique d’hybridation : un plant de maïs porte des fleurs mâles et femelles. Pendant plusieurs années, on cultive deux variétés très loin l’une de l’autre, pour éviter les croisements par voyage du pollen (mâle). On sélectionne, pour re-semer, des grains très identiques pour obtenir des lignées « pures » comme on aimait à dire (pauvres en fait).

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Dans un deuxième temps, on sème les deux lignées côte à côte en castrant les fleurs mâles de l’une des deux (à la main, mais aujourd’hui avec des produits chimiques). Résultat, la lignée « stérile mâle » donne (sur les fleurs femelles) des épis et des grains hybridés. A leur tour ressemés, ces grains montrent un rendement exceptionnel, du moins la première année. Dès la 2ème génération, le résultat devient hétérogène, selon les lois de Mendel : certains grains lèvent, d’autres pas, certains épis poussent minuscules, etc. Voilà pourquoi on ne peut pas re-semer les hybrides F1 et obtenir de bons résultats. Par ce bond de rendement, l’hybridation permet l’élevage industriel d’animaux enfermés, à condition de compléter le maïs avec les protéines du soja (par exemple). Elle permet aussi de vendre les semences F1 chaque année aux agriculteurs.

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Mais dès les années 20, Nicolas Vavilov, en URSS, travaille dans l’autre sens ; il visite 62 pays et envoie des émissaires sur les marchés du monde entier pour acheter des graines. C’est ainsi qu’il découvre les centre de diversité où la richesse en semences apparaît la plus importante. Vavilov conserve ses graines à 5° C et en cultive régulièrement pour renouveler le stock. Ces travaux ne plaisent pas, sous Staline. Vavilov sera  condamné à mort, peine commuée à vingt ans de prison (selon Wikipedia). Malgré les conditions précaires, des botanistes réussissent à sauver une bonne part de ses collections qui existent toujours à Saint-Petersbourg en Russie.

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En 1950, André Cauderon hybride des maïs hybrides américains avec des « maïs de pays », chétifs, qui végétaient dans les jardins des Pyrénées, en altitude, depuis la découverte de l’Amérique peut-être, objet d’une sélection naturelle et paysanne drastique sur le caractère résistance au froid. Il obtient les premiers cultivars de maïs productifs et résistants au froid, qu’on vendra jusqu’en Norvège : extension de l’élevage hors sol.

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Trente ans plus tard, les maïs de pays n’existent plus. Cauderon ne pourrait plus re-faire cette hybridation. Il sait que les chercheurs de l’INRA ne gardent pas leurs collections de travail. Cauderon fonde le Bureau des Ressources Génétiques, interministériel, c’est-à-dire sans grand pouvoir ni budget. Un peu partout dans le monde, s’ouvrent des banques de graines.

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Mais il importe aussi de conserver les semences en culture, en grand nombre, diversité qui permet l’adaptation à l’environnement changeant (comme le maïs de Pyrénées), sans parler des pannes de frigo ou des dégâts du froid. Voilà pourquoi quand la Syrie demande des graines au coffre-fort norvégien des glaciers du Svalbard, après le bombardement d’une banque de graines, pour en reconstruire une autre, en Jordanie, des associations françaises préfèrent envoyer des semences paysannes aux paysans et citadins de Syrie ou aux Syriens dans les camps de réfugiés.

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A la fin des années 1980, les négociations du GATT (accord de commerce) qui jusqu’alors ne concernaient que les tarifs de douane (ou leur absence) sur les produits industriels, se sont étendus à trois autres secteurs : agriculture, services et propriété intellectuelle, un nouveau concept. Auparavant existait la « propriété industrielle » de brevets sanctionnant des inventions, jamais les découvertes de phénomènes naturels. Mais cette notion a conquis le monde sous l’égide de l’organisation WIPO (World Intellectual Property Organization), sise à Genève. En effet la plupart des grands empires industriels vivent de royalties sur des brevets, marques franchisées et produits dérivés plutôt que de la production (laissée aux sous-traitants).

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Quant aux semences, le règlement européen qui consent aux brevets sur les séquences génétiques menace la liberté de semer des variétés aussi banales que le chou brocoli sans avoir à payer ou risquer des amendes, pour un geste aussi naturel. Guy Kastler du réseau Semences paysannes l’explique dans le dernier n° d’inf-OGM, que les journalistes peuvent demander en service de presse à cette organisation. Le gouvernement prend enfin la mesure du danger selon l’auteur et prépare un texte à ce propos dans la future loi sur la biodiversité.

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Autre point important, le traité sur les ressources phylogénétiques, au sein de la Convention sur la Biodiversité (ONU, 1992). L’article 9 de ce traité (non signé par les Etats-Unis) reconnaît les droits des agriculteurs à utiliser les semences dites de ferme (de leur récolte), d’autant que des siècles de sélection paysanne ont beaucoup contribué à la diversité cultivée.

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Cependant le régime de protection des obtentions végétales UPOV ne respecte pas ces droits. Il s’agit en dernière analyse du droit à la nourriture, reconnu par la Déclaration universelle des droits humains de l’ONU. Multiplier ses semences, les cultiver, échanger ou les vendre, peut être une question de vie ou de mort.

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Mais les négociations à Rome la semaine dernière n’ont rien fait avancer. Un excellent article en anglais sur le sujet se trouve ici. Mais, encore mieux, l’excellente émission Terre à Terre de Ruth Stegassy (JNE) sur France Culture, diffusée samedi dernier 17 octobre.

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