Sur les routes de France (1952-54) par Pierre Fournier

Fournier
Cet album singulier nous projette par la magie du dessin au cœur de la France du début des années 1950. Alors âgé d’une quinzaine d’années, Pierre Fournier (qui sera par la suite l’un des principaux initiateurs de l’écologisme en France) parcourait chaque été en compagnie de ses parents et de ses deux sœurs les routes de notre pays à bord de la Renault familiale, surnommée Caroline. Déjà passionné de dessin, il tient un journal de bord, que les éditions les Cahiers Dessinés, avec la complicité de Danielle Fournier (sa veuve et archiviste), ont eu l’excellente idée de publier. Routes tranquilles de campagne traversées par des troupeaux, curés en soutane, oies en liberté, villages bien pourvus en petits commerçants de toutes sortes… : on y découvre une France bien éloignée de celle de 2015. Convaincue des bienfaits de l’air pur, du soleil et de l’eau, la famille Fournier se baigne chaque jour dans des rivières encore largement préservées de la pollution.

Malgré son âge tendre, Pierre Fournier se révèle dans ces planches comme un dessinateur hors pair. Tout son talent graphique qui s’épanouira une quinzaine d’années plus tard dans les colonnes d’ « Hara Kiri » s’y trouve déjà en germe, avec en particulier une utilisation très novatrice des à plats noirs. Au fil des pages, Fournier est aussi à l’aise pour croquer les Basques à bérets jouant à la pelote (une des rares traditions à avoir survécu !) ou les paysannes sur les marchés que pour nous faire découvrir les paysages de cette France encore rurale, de l’Aquitaine à la Côte d’Azur en passant par les Pyrénées. Sensible à la protection de la nature, il s’insurge contre les pylônes qu’EDF, en pleine électrification des campagnes, plante à tort et à travers.

Au-delà d’un témoignage unique sur une France que les moins de 50 ans ont du mal à imaginer, cet album nous éclaire sur les origines de l’engagement écologiste de Pierre Fournier, en grande partie lié à son milieu familial. Ses parents étaient en effet des instituteurs adeptes de la pédagogie Freinet, fondée sur l’apprentissage de l’autonomie et de la responsabilité. Comme beaucoup d’enseignants pratiquant cette méthode, les parents de Fournier étaient pacifistes, opposés à la bombe atomique, végétariens, passionnés de nature et de « leçons de choses », hostiles aux vaccinations et aux radioscopies obligatoires et systématiques… Autant de thèmes que leur fils (qui sera au début des années 1970 un adhérent actif de l’AJEPN, aujourd’hui JNE) s’emploiera à populariser dans les colonnes d’« Hara Kiri Hebdo», puis de « Charlie Hebdo » et enfin de « La Gueule Ouverte », premier mensuel écologiste en France qu’il avait lancé quelques mois avant de mourir à 35 ans en février 1973.


Éditions les Cahiers Dessinés, 128 pages, 26.00 € – www.lescahiersdessines.fr
Contact presse : Claire de Soras. Tél.: 01 44 32 05 63 – claire.desoras@libella.fr
(Laurent Samuel)