Survivre dans la nature, de la fiction à la réalité

Dans le récent film autrichien, Le mur invisible, une histoire peu banale est mise en scène. Celle d’une femme moderne, partie pour passer un week-end avec des amis dans un chalet de chasse des montagnes autrichiennes et qui se retrouve seule, entourée d’un mur invisible qui la sépare du reste du monde où la vie s’est interrompue.

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par Jean-Claude Génot

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Voici donc cette femme isolée en pleine nature, avec pour seuls compagnons une vache, un chien et un chat, qui seront sa raison de vivre. Il s’agit en partie du thème de Robinson Crusoé revisité dans un contexte purement terrestre avec cette fois une femme comme survivante.

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Le film est à la fois un hymne à la nature des montagnes, belle et parfois austère, et une réflexion sur le sens de la vie. Cette femme sans doute urbaine qui se retrouve contrainte, non sans difficultés, de chasser, de cueillir fruits et champignons, de cultiver des pommes de terre et de faire les foins pour survivre nous conduit immanquablement à réfléchir sur notre capacité à être autonome sur le plan alimentaire dans les sociétés modernes. Elle redécouvre ses sens, apprend des gestes ancestraux, s’éclaire à la lampe à huile ou la bougie.

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Le seul drame qui viendra rompre la quiétude de cette vie au rythme des saisons dans une ambiance quelquefois anxiogène : le moment où un homme, rescapé lui aussi, fait irruption dans la vie de la robinsonne, tue son chien et son veau avant d’être abattu par cette femme qui glisse petit à petit vers une autre humanité. Cela donne une résonance particulière à son carnet de bord, dans lequel elle écrit que si les hommes sont méchants et désespérés c’est parce qu’ils comprennent qu’il leur est impossible d’agir sur le cours naturel des choses.

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On pourrait en rester là de ce film en l’inscrivant sur la liste des fictions qui traitent du thème du survivant de façon revisitée. Mais il se trouve que nous vivons dans un monde où la réalité dépasse la fiction. Ainsi il existe aujourd’hui au Japon, pays moderne et sur-développé (au développement insoutenable devrait-on dire !), un survivant d’un type particulier. Il s’agit du dernier homme de Fukushima, dont le journaliste italien Antonio Pagnotta relate l’histoire dans un ouvrage aussi passionnant que surréaliste publié en 2013 (Le dernier homme de Fukushima, aux éditions Don Quichotte). Pris pour un fou par les uns et pour un héros du Japon moderne, entre le samouraï et le kamikaze, pour les autres, Naoto Matsumura vit dans la zone interdite autour de la centrale nucléaire qui a explosé depuis mars 2011.

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Ce fermier n’est pas un survivant absolu puisque des gens vivent au-delà de la limite des 20 km, mais ce sont des cobayes involontaires vivant pour certains d’entre eux dans des secteurs tout aussi contaminés que dans la zone interdite et dont l’espérance de vie est d’ores et déjà réduite. En effet le compte à rebours des effets de la radioactivité sur leur corps est enclenché. Tous les gestes simples et essentiels de la vie comme boire, manger ou respirer présentent un risque de mortalité à terme.

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Le survivant de Fukushima dénonce les mensonges de l’Etat vis-à-vis de la population et l’impunité de la compagnie d’électricité entretenant des relations incestueuses avec le gouvernement et les médias. Une catastrophe nucléaire entraîne les mêmes réactions, qu’elle se produise en système socialiste ou capitaliste : loi du silence, désinformation et mépris de la population contaminée. Désormais le survivant de Fukushima vit seul en s’occupant des animaux domestiques abandonnés dans la zone interdite, un thème commun entre la fiction et la réalité. L’absence d’eau courante et d’électricité fait dire au journaliste italien qu’en matière de conditions de vie, on se croirait revenu des siècles en arrière.

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L’homme est capable de lâcher prise sur un territoire en cas de force majeure, comme lorsqu’il joue avec le feu nucléaire. Il l’a déjà fait à Tchernobyl où la nature a repris ses droits et gomme petit à petit les traces humaines dans le paysage depuis plus d’un quart de siècle. François Terrasson avait dit avec justesse après une visite de la centrale ukrainienne : « On vient d’inventer le premier lieu où l’homme ne peut pas vivre. » 

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Eh bien, l’homme vient encore de le faire à Fukushima où un résistant à l’avenir très incertain tente de survivre dans une nature du « troisième type ». Cette nature est qualifiée aujourd’hui de férale, à savoir une nature domestiquée, exploitée et modifiée (dans notre cas irradiée) redevenue sauvage, comme les forces naturelles reliant les atomes que l’homme a inconsidérément libérées.

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