L’impuissance actuelle du journalisme environnemental

Les JNE ont organisé le 18 mars 2013 un petit déjeuner de presse à Paris. Le thème était essentiel : « Les journalistes d’environnement face à l’expertise scientifique : qui croire ? »

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par Michel Sourrouille

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Les deux intervenants étaient de poids. D’un côté, Stéphane Foucart, journaliste scientifique au Monde, qui publie ce mois-ci La fabrique du mensonge *. De l’autre côté, Guillaume Malaurie, journaliste au Nouvel Observateur, qui a couvert dans ce cadre l’affaire Séralini. Beaucoup de temps a été passé à discuter des méfaits de l’industrie du tabac, du problème des conflits d’intérêt, de la fabrique du doute par les uns et par les autres. Mais presque pas de la question initiale. Vers la fin du débat, j’ai posé la question suivante à Stéphane et Guillaume : « Quand on compare les surfaces médiatiques des médias, il apparaît que les intérêts commerciaux, soutenus par l’expertise « scientifique », dominent le journalisme d’investigation et les préoccupations environnementales. Quelle est la place qu’on vous donne dans vos journaux respectifs, est-ce satisfaisant ? »

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Stéphane Foucart a été sincère dans ses différentes approches de la question. D’abord, il ne s’occupe que de la rubrique sciences au Monde, il ne peut pas faire des articles sur le lobbying à Bruxelles. Quant à ses investigations, il se trouve confronté aux intérêts industriels qui suggèrent par exemple contre l’évidence que les effets des néocotinoïdes sont discutables. Surtout, Le Monde est un quotidien : par définition le long terme ne vaut rien par rapport au court terme.

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Stéphane Foucart estime que son groupe de presse lui donne toute liberté ; mais non seulement le temps lui manque pour approfondir les débats, mais la couverture médiatique est  faussée. Il prend le cas du déclin mondial des pollinisateurs sauvages. Son article sur la question ne faisait qu’une fraction de page, il aurait dû être l’élément essentiel de l’actualité ce jour-là dans Le Monde **. Cependant, il pense que si on obligeait tous les intervenants médiatiques à une déclaration de conflits d’intérêt, nous pourrions progresser dans la recherche de la vérité.

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De son côté, Guillaume Malaurie est resté absolument muet sur l’enjeu de ce petit-déjeuner de presse, à savoir les rapports de pouvoir entre la sphère médiatique et les intérêts financiers. Il s’était contenté tout au cours des débats de commenter l’affaire Séralini et de relativiser la question écologique. Il est vrai que le Nouvel Observateur n’est plus celui que nous avons connu, qui faisait en juin-juillet 1972 un spécial écologie « La dernière chance de la Terre » ! Nous avons perdu plus de quarante ans, le journalisme environnemental est encore moins influent que dans les années 1970, les menaces deviennent irréversibles aujourd’hui.

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* La fabrique du mensonge (Comment les industriels manipulent la science et nous mettent en danger (aux éditions Denoël, 17 euros)

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** Le Monde du 1er mars 2013, Le déclin des insectes pollinisateurs menace les rendements agricoles.

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Cliquez ici pour lire le compte-rendu de Roger Cans et Laurent Samuel sur ce petit déjeuner.

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Retrouvez l’interview de Stéphane Foucart par Pascale Marcaggi (JNE) ici sur Radio Ethic.

 

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