Denis Fauconnier, un médecin corse face à Tchernobyl

Le Dr Denis Fauconnier a été le premier en Corse à alerter sur l’augmentation des maladies de la thyroïde après la catastrophe de Tchernobyl, en 1986.

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par Brigitte Bègue

Dr Denis Fauconnier - photo Viva

 

« On ne pourra plus cacher la vérité. » Si Denis Fauconnier, médecin en Corse, aujourd’hui retraité, est aussi affirmatif, c’est qu’une étude épidémiologique va bientôt démarrer pour mesurer l’impact sanitaire du nuage radioactif de Tchernobyl dans l’île. Vingt-six ans qu’il se bat pour ça. Car l’ex-généraliste en est persuadé : après l’explosion de la centrale nucléaire ukrainienne, le 26 avril 1986, le nuage ne s’est pas arrêté aux frontières françaises comme le Pr Pierre Pellerin, alors directeur du ­Service central de protection contre les rayonnements ionisants ­(Scpri), l’avait officiellement déclaré. A l’époque, ce sont des amis revenant d’Italie qui éveillent ses soupçons : «  Alors que ce pays est à côté du nôtre, ils me racontent que les Italiens ont pour consigne de ne pas consommer de produits frais et de détruire leurs récoltes. En France, aucune précaution n’était prise.  »

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Denis Fauconnier se renseigne auprès des autorités sanitaires pour connaître les taux de radioactivité en Corse. On lui communique une moyenne pour le sud-est de la France. Le médecin contacte alors la Criirad, un organisme de mesures indépendant qui vient de se créer pour rétablir la vérité face à la «  désinformation  ». Le résultat des prélèvements est inquiétant. «  Dans le lait de brebis et de chèvre, on relève des taux d’iode 131 supérieurs à 10 000 becquerels par litre, parfois plus de 100 000, alors que les valeurs à ne pas dépasser un mois après l’exposition étaient de 125, précise-t-il. Des nourrissons en ont consommé pendant deux mois.  »

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Le médecin alerte les autorités. En vain. «  On m’a rétorqué qu’il n’y avait pas de problème et accusé d’alarmer la population pour rien  », se souvient-il. Pourtant, dans les années qui ont suivi l’accident de Tchernobyl, le nombre de maladies de la thyroïde explose en Corse. «  Dès 1987, j’ai vu apparaître des goitres, des nodules, des thyroïdites chez mes patients. Cela n’a fait qu’augmenter de façon constante, mais je ne pensais pas que l’impact sur la santé serait aussi important  », affirme le Dr Fauconnier.

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L’étude de 2 096 dossiers médicaux enregistrés par le seul endocrinologue exerçant dans l’île avant et après la catastrophe montre en effet que les consultations pour troubles thyroïdiens ont plus que doublé après 1986. Parmi eux, l’incidence des cancers de la thyroïde chez les adultes progresse. Une augmentation significative de ces cancers chez les enfants de Paca-Corse en 1994, 1995 et 1996 est également repérée. «  Curieusement, les chiffres ont été modifiés par la direction régionale de la santé, qui a prétexté une erreur d’interprétation, explique Denis Fauconnier. C’est d’autant plus suspect qu’à partir de là le registre régional du cancer est supprimé, contrairement aux autres registres régionaux de l’époque.  »

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Pic de maladies thyroïdiennes

Troublant aussi le pic des hypothyroïdies chez les nouveau-nés : entre 1980 et 1985, 6 cas dépistés en Corse, contre 5 en 1986, dont 4 entre le 15 mai et le 15 octobre. Etrange encore le nombre d’affections graves chez les jeunes dont la mère était enceinte en mai 1986 : leucémies, lymphome, cancer de la thyroïde. «  Dans ma micro-région, j’ai 3 cas pour 80 naissances. C’est totalement anormal », note le généraliste.

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Si l’est et le sud-est de la France ont été les plus contaminés par le nuage, la Corse est la seule région où il y avait encore de l’iode 131 dans l’environnement à la mi-juillet 1986. «  Il aurait fallu prendre des mesures, car on a une activité pastorale importante ici, souligne Denis Fauconnier. Les troupeaux sont dehors tout le temps et broutent l’herbe des pâturages. Or, les Corses mangent énormément de produits laitiers frais, et le lait est le principal vecteur de la radioactivité.  »

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Comme dans toutes les régions montagneuses, les carences en iode peuvent être fréquentes en Corse, ce qui rend la thyroïde plus vulnérable. «  Plus les gens sont carencés en iode, plus la pollution radioactive est agressive, car elle se fixe sur la thyroïde. C’est pour cela qu’en cas d’accident nucléaire on distribue des pastilles d’iode  », commente le médecin.
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Pour lui, la Corse n’est pas la seule concernée : «  Depuis 1986, la consommation de Lévothyrox, le médicament de l’hyperthyroïdie, a presque été multipliée par 10 en France. En Isère, zone de montagnes et d’élevage aussi, le cancer de la thyroïde est devenu le premier cancer chez les femmes âgées de 15 à 29 ans. On nous dit que c’est grâce à un meilleur dépistage, mais sur 201 cas de cancers en Corse entre 1985 et 2006, seuls 8 % ont été découverts fortuitement.  »

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En septembre, suite à la plainte déposée par 650 patients s’estimant victimes de Tchernobyl – dont une centaine en Corse – regroupés dans l’Association française des malades de la thyroïde, et après dix ans d’enquête, la cour d’appel de Paris a prononcé un non-lieu. L’étude prévue en Corse pourrait relancer l’affaire.

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Cet article a été publié dans le n° d’avril 2012 du mensuel Viva, ainsi que sur  son site internet. Merci à Viva de nous avoir permis de le reproduire.

 

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